Le quartier Dunois occupe une place singulière dans la formation de la ville d'Orléans. Il constitue la seule opération d'urbanisme planifiée à grande échelle menée par la municipalité avant les grands aménagements urbains réalisés après la Seconde Guerre mondiale, même si la Ville réalise plusieurs lotissements d'importance en périphérie (Le Baron) ou dans l'intra-mail (l’Étape). La formation rapide du quartier Dunois, entre 1880 et 1914 principalement, atteste en effet d'un développement sans commune mesure avec les autres secteurs périphériques de la ville.
À partir de 1843, l'implantation de la gare et du réseau ferré modifie singulièrement la physionomie de la périphérie nord de la ville. Trente ans plus tard, le bâti se concentre le long des faubourgs Bannier, Saint-Jean et Madeleine où quelques industriels ont établi leur manufacture. Cependant, les espaces interstitiels sont encore occupés par des terres agricoles consacrées à la vigne.
L'élaboration du nouveau quartier
Vue de la rue de Loigny, depuis la place Dunois.Les projets concernant l'amélioration des rues dans ce secteur débutent à partir de 1872, suite à une pétition des habitants demandant l'amélioration de la circulation. Le premier plan présenté un an plus tard apporte une solution timide et surtout inadaptée aux problèmes existants et à venir. Selon le plan du 10 mai 1873 (doc. 1), l'aménagement proposé prend largement en compte le réseau viaire existant avec la volonté d'aligner la venelle Saint-Jean, la rue Torse (actuellement rues Guillaume-de-Lorris et Jean-de-Meung) et la rue de la Mare aux Solognots (aujourd'hui rue de Lahire). La nouvelle rue proposée ne constitue que l'amorce d'une voie qui doit relier à terme les faubourgs Saint-Jean et Bannier. Après une première enquête publique réalisée en octobre 1873, le projet est rejeté par les habitants et le commissaire enquêteur, celui-ci s'opposant à une réalisation partielle de la nouvelle rue. La même année, Orléans devient le siège du 5e corps d'armée. Plusieurs établissements militaires doivent ainsi s'installer dans la ville, notamment la nouvelle caserne d'artillerie rue des Murlins et ses magasins aux fourrages rue Caban. Malgré les débats qui se poursuivent en 1874, aucune décision concernant les rues à modifier ou à créer n'est prise et il faut attendre l'année suivante pour qu'émerge le projet du nouveau quartier.
Immeubles, 20-22 rue Antigna.En 1875, l'élection d'un nouveau conseil municipal marque un véritable tournant. Le maire Alexis Germon obtient en avril 1875 un crédit pour l'étude de voies nouvelles. Dans son exposé présenté lors de la séance du conseil municipal du 30 novembre 1875 (voir annexe), il explique les choix qui ont conduit la ville à élaborer le plan du nouveau quartier. Le nord-ouest de la ville apparaît d'abord comme le secteur le plus propice pour réaliser cet aménagement. L'installation de plusieurs équipements militaires dans ce secteur (caserne d'infanterie Coligny et magasins aux fourrages) nécessite des voies de communication adaptées à la circulation des militaires. De plus, les habitants comme les industriels s'installent à cette période majoritairement au nord de la ville, délaissant le sud de la Loire. À l'est de la gare, le secteur est occupé par des équipements utilitaires (le cimetière Saint-Vincent, le réservoir d'eau et une caserne d'artillerie) et laisse peu de place à un aménagement d'ensemble. L'amélioration de l'évacuation des eaux, par la construction d'égouts, constitue aussi un argument de poids pour la ville. Mais surtout, la volonté de "faire un lotissement favorable à de futures constructions" témoigne de la volonté d'éviter un développement anarchique. La création de ce nouveau quartier constitue alors pour l'administration municipale un outil de contrôle et de rationalisation du développement de la ville.
Par ailleurs, les choix opérés pour l'élaboration du plan général attestent de l'ambition municipale. Germon contacte en effet J.C.A. Alphand, nommé par le préfet de la Seine, le Baron Haussmann, et qui poursuit durant les années 1870 les grands travaux parisiens. Alphand désigne alors Grégoire, ingénieur et Voyer du département de la Seine, qui effectue trois voyages à Orléans et apporte son aide au directeur des travaux municipaux de la ville, Rayneau.
Plan général des rues à ouvrir dans la partie nord-ouest de la ville, avant-projet Rayneau, 2 octobre 1875. (Archives municipales et communautaires d'Orléans, Série O, dossiers concernant plusieurs voies, Dos 6).L'avant-projet du 2 octobre 1875 (doc. 2) présente dans ses grandes lignes la forme du futur quartier. Un boulevard concentrique, planté et large de 22 m, dont le tracé apparaît à la fois déterminé par l'orientation des voies de chemin de fer et du boulevard Rocheplatte, forme le principal axe de circulation et constitue la limite nord du quartier. Il est prolongé au-delà du faubourg Bannier par la rue C, qui elle-même prolonge le premier tronçon de la rue de la Gare ouvert en 1860. Une voie de 12 m (rue B) permet de créer une seconde voie transversale reliant les deux faubourgs. Les autres rues (D, E, F) permettent de relier ces voies entre elles et au boulevard de même que la venelle Saint-Jean élargie. L'ensemble forme ainsi un système de voirie cohérent et hiérarchisé qui se superpose au réseau viaire existant.
Voies nouvelles à ouvrir dans les parties nord et nord-ouest d'Orléans et dans le quartier de la rue Guillerault, Journal du Loiret, 25 juin 1876. (Archives départementales du Loiret, Orléans).Ce premier projet fait l'objet de multiples discussions en 1876, lors des séances du conseil municipal et consécutivement à l'enquête publique. Quelques modifications d'importance sont alors réalisées mais l'aspect général du nouveau quartier semble faire consensus malgré quelques protestations d'intérêt surtout particulier. La rue de Coulmiers (B), qui initialement devait se prolonger jusqu'à la rue de la Bourie-Rouge est arrêtée au faubourg Bannier. La rue de la Gare (C) est élargie à 14 m et son tracé est modifié afin d'éviter un angle trop aigu. La rue de Patay (E) est prolongée jusqu'à la rue de la gare, en incorporant la rue de la Grenouillère. Mais surtout, la principale modification (le 15 juin 1876) réside dans la création d'une place pentagonale (la place Dunois) permise par le déplacement de la rue de Patay et le déplacement de la rue de Loigny (D) vers le sud (afin d'éviter la rue Torse). Cette place qui "complète la viabilité et les heureuses dispositions du plan général des voies nouvelles" permet de créer un point de convergence entre les principales voies du quartier (Doc. 3). Seules les rue Xaintrailles (venelle Saint-Jean déplacée) et Gratteminot (venelle alignée) ne font pas partie du plan approuvé et sont ajoutées en 1879.
La réalisation du plan d'ensemble
L'originalité du quartier Dunois réside en outre dans les modalités de son exécution. Le plan est en effet réalisé d'un seul tenant et en moins de trois ans. Les travaux sont concédés à une société privée, un procédé qui se diffuse largement sous la Troisième République, notamment pour la mise en oeuvre des percées parisiennes. Un premier projet de traité de concession est élaboré avec L. de Voisin. Présenté dès juin 1876, il prévoit non seulement la réalisation de l'ensemble des rues mais aussi la construction de plusieurs édifices place Dunois et aux angles des nouvelles rues. Ce projet constitue ainsi autant une réponse à la demande de logement qu'une manière de lancer la construction du quartier et d'inciter les habitants à venir s'y installer. Si la ville n'est pas lotisseur, ce mode de réalisation n'est toutefois pas étranger à celui utilisé par les grands lotisseurs parisiens, notamment dans le quartier de l'Europe ou celui de la Plaine Monceau. Le projet Voisin va même plus loin en définissant la valeur des maisons à construire et ainsi leur valeur locative : 23 maisons place Dunois à 20.000 francs, 30 maisons aux angles des rues à 12.000 francs, 40 maisons de petits loyers à 6.000 francs.
Immeuble à l'angle de la rue Eugène-Fousset et de la rue de la Bourie-Rouge (n° 6).Malgré les délais accordés à Voisin, celui-ci ne semble pas avoir réussi à mettre au point le montage financier. En décembre, la municipalité décide de se tourner vers une autre proposition réalisée par deux entrepreneurs de travaux publics, Antoine Gaillot et Victor Meygret, et un propriétaire, Paul Izarié, tous trois originaires de la région parisienne. Ils se constituent en société dite "des voies nouvelles d'Orléans" en janvier 1879 et le traité de concession est approuvé le 11 mars par arrêté préfectoral. La société doit alors se charger des expropriations de terrains et de la réalisation des rues selon le plan approuvé le 17 avril 1877 par la Ville et le 13 avril 1878 par le Préfet (doc. 5). Outre les travaux de voirie, la société a l'obligation de construire des habitations pour une valeur de 500.000 francs. Elle choisit à cet effet des emplacements stratégiques, les angles de rue, afin de marquer la naissance du quartier. Les immeubles ou les maisons détermineront par leur gabarit l'échelle du bâti de nouveau secteur urbain, qui perdurera, à quelques exceptions près (l'immeuble situé au n° 6 rue de la Bourie-Rouge, ci-contre), jusqu'à la Seconde Guerre mondiale (les immeubles bâtis après 1940 manifestent souvent une véritable rupture d'échelle, fig. 23. Les maisons d'un étage (60 rue Xaintrailles, fig. 15) ou immeubles de deux étages (Boulevard de Châteaudun et rue Xaintrailles, fig. 16, 18, 20) de la Société des voies nouvelles sont traités en pan coupé. Leurs façades, simplement enduites, sont soulignées par des bandeaux et des chaînes d'angle harpées en pierre calcaire. Les toits sont en ardoise percés de lucarnes à fronton. Au cours des années 1880 et 1890, de nombreux immeubles construits au sein de lotissements s'inspirent des réalisations de la société des voies nouvelles. C'est le cas du n° 2 rue Xaintrailles ou de ceux bâtis aux angles de la cité des Fleurs (48 rue Xaintrailles, 17-17bis rue de l'Immobilière...).
Les lotissements du quartier
À partir de 1880, l'augmentation des constructions dans le secteur, de manière spontanée ou par lotissements, atteste de la réussite du projet municipal. Les lotissements s'établissent le long des axes principaux déjà existants ou s'y rattachent par l'ouverture de voies nouvelles destinées à désenclaver les lots, favorisant ainsi le redécoupage d'îlots trop importants.
Maisons de la Société immobilière d'Orléans, 5-11 rue de la Concorde.Les premiers lotissements identifiés sont réalisés par la Société immobilière d'Orléans, fondée en 1879. Celle-ci construit plusieurs ensembles d'habitations ouvrières le long des voies nouvelles, rue Xaintrailles et rue de Loigny (au nord de la place Dunois). Dans le même temps, elle ouvre la rue de la Concorde (1880, ci-contre) et bâtit des habitations similaires le long de cette rue ainsi que rue de Gaucourt et rue de Coulmiers. Sa réalisation la plus exemplaire demeure toutefois la cité des Fleurs (rue de l'Immobilière et place Colas-des-Francs) construite à partir de 1883.
Le quartier Dunois se caractérise en outre par l'action de plusieurs industriels, en particulier les fabricants de laine et de couvertures, qui s'étaient établis avant la naissance du quartier ou qui achètent des terrains pour les lotir. Delagrange construit une première cité en 1885 (cité Saint-Joseph) avant de lotir un terrain attenant et d'ouvrir la rue de Châteaudun. D’autres fabricants de couvertures textiles entreprennent des lotissements. Louis-Charles Boyard (conseiller municipal en 1900 et 1904) lotit à partir de 1907 une partie des terrains de sa manufacture (située n° 39 rue des Murlins) et ouvre la rue Serenne. L'un des lotissements les plus importants reste celui des frères Daudier, qui avaient installé leur manufacture rue des Murlins et procèdent, avec le soutien municipal, à l'ouverture des rues du Commandant-Arago et de Chanzy.
On relève par ailleurs l'action de plusieurs entrepreneurs de bâtiments qui procèdent par simple morcellement ou construisent des ensembles planifiés d'édifices. Liger, couvreur, ouvre la rue de Jargeau (1891). Benoni Gaultier construit plusieurs maisons rue de Coulmiers. Thieulin lotit quant à lui une des plus grandes parcelles du quartier constituant un îlot entier en bordure de la rue de Patay. Enfin, Sallé-Guyot entreprend la construction de plusieurs maisons et immeubles et ouvre la rue des Villas en 1914.