Le pont et son inscription dans la ville à la veille de la guerre
En 1716, le pont de Blois s'était effondré dans une violente débâcle. Il fut reconstruit entre 1717 et 1724, sur les dessins de l'ingénieur Jacques Gabriel (voir le dossier correspondant). Sa reconstruction n'eut de conséquences que sur le front de Loire et ne constitua pas une occasion de modifier la traversée de la ville. En effet, alors que le nouveau pont, décalé légèrement en amont par rapport au précédent, n'était plus dans l'alignement de la Grande Rue, on ne procéda pas au percement d'une nouvelle voie dans l'axe du pont. En revanche, la reconstruction du pont s'accompagna de la volonté d'embellir la façade fluviale. La ville s'ouvrit vers le sud, et vers la Loire en particulier, avec l'aménagement sur les quais, à partir de 1730, d'un espace de promenade en amont du pont, le Mail, la construction d'un nouvel hôtel de ville en 1777, et la suppression des anciens ports pour l'établissement des quais. Toutefois, ces aménagements s'accomplirent sans plan d'ensemble et sur un périmètre restreint puisqu'ils ne s'étendirent pas au-delà de Port-Vieil.
Ce n'est qu'à partir de 1850, sous l'impulsion de la municipalité d'Eugène Riffault, qu'une série de grands travaux fut entreprise. La rue du Prince-Impérial -actuelle rue Denis-Papin- fut percée dans l'axe du pont et ouverte à la circulation en 1865. La percée de cette voie fut donc tardive et il manquait encore à la veille de la guerre une place de tête de pont reliant le pont et la rue pour faciliter la circulation à leur carrefour.
Vue aérienne de la tête de pont avant-guerre, vers 1935. (Collection particulière, B. Guignard).
Avec la reconstruction, l'idée d'une tête de pont s'impose, été 1940
Après les destructions de juin 1940 et dès les premiers projets de reconstruction de 1940, l'idée de créer une place dans l'axe du pont s'imposa. L'occasion était en effet donnée de créer ce qui faisait défaut depuis le percement de la rue Denis-Papin. Par-delà ce consensus, les propositions varièrent sur la forme d'une telle place et son implantation, en bordure des quais ou plus près des escaliers Denis-Papin. En témoignent les projets déposés au cours de la première phase de consultation des Blésois à l'été et l'automne 1940. Hubert-Fillay, par exemple, dans sa proposition publiée dans La Dépêche datée du 8 août 1940, préconisa le dégagement de la tête de pont afin d'améliorer la circulation automobile. Paul Robert-Houdin dont le plan d'aménagement de la ville fut adopté par la délégation spéciale de la ville à l'automne 1940 le recommanda également et en proposa plusieurs versions. Charles Nicod, qui fut ensuite nommé architecte en chef de la reconstruction de Blois par le Commissariat Technique à la Reconstruction Immobilière, accorda un soin particulier au dessin de la place. En plein cœur du quartier détruit et en bord de Loire, celle-ci concentra en effet des enjeux esthétiques, d'entrée de ville, et fonctionnels, de circulation.
Les propositions de Paul Robert-Houdin pour une place de tête de pont, 1931-1940
Les propositions de Paul Robert-Houdin sont à inscrire dans un contexte plus large que la seule année 1940. Architecte blésois, il avait participé avant-guerre à différents concours qui nourrirent sa réflexion en 1940. En 1931, il avait en effet proposé un projet d'aménagement de la ville de Blois qui ménageait l'ouverture d'une place hémicirculaire, dans l'axe de la rue Denis-Papin et du pont, à partir de la rue de la Foulerie environ. Il proposa de nouveau de créer une place dans l'axe de la rue Denis-Papin en 1940, mais il la conçut cette fois en tête de pont. Dans une première solution, dite solution A, il proposa l'ouverture d'une place en losange de dimension modeste, gagnée sur le bâti par l'élargissement des voies de circulation et l'adoption de pans coupés sur les angles des deux îlots de tête de pont. Une deuxième hypothèse, développée à partir de juillet 1940, était rectangulaire et de vastes dimensions puisqu'elle s'étendait depuis les quais jusqu'au niveau de l'ancienne rue des Orfèvres. Cette place ouvrait sur la rue Denis-Papin et sur deux axes biais nouveaux et menant d'une part aux grands degrés du château, d'autre part aux grands degrés saint-Louis reliant la cathédrale.
Projet de place de tête de pont par P. Robert-Houdin, vue perspective, 15-08-1940. (Archives départementales de Loir-et-Cher, Blois, 176 FiV 65). Dans les solutions suivantes, variantes de cette deuxième version, les deux axes biais, inappropriés à la circulation automobile puisqu'ils débouchaient sur des escaliers, furent supprimés. Le plan finalement adopté en octobre 1940 proposa la création d'une place de 70 sur 75 mètres environ, à la tête du pont, dans l'axe de celui-ci et de la rue Denis-Papin, entre les quais et la rue des Orfèvres et prévoyait d'y imposer des servitudes d'architecture. Une vue perspective datant d'août 1940 témoigne du caractère monumental qu'il entendait lui conférer, ce document constitue l'unique témoignage graphique de l'aspect architectural que Paul Robert-Houdin imagina pour la place.
La place de tête de pont dans le plan de Charles Nicod, 1941-43
La conception d'une place de tête de pont fut reprise par Charles Nicod. Animé par les considérations hygiénistes chères à l'époque, l'urbaniste proposa en effet un plan ponctué par des places nombreuses, censées assurer circulation de l'air et luminosité. Parmi elles, le rond-point qui prit par la suite le nom de rond-point de la Résistance, avait également pour fonction de décongestionner le carrefour du pont formé par la route nationale 152, reliant Orléans et Tours, et la route nationale 156-157 reliant Laval et Châteauroux.
Etude spéciale d'architecture par Nicod et Billard : façade principale sur la Loire, 1943. (Archives municipales de Blois, 12 Fi 1).Une étude architecturale fut menée par les architectes Charles Nicod et Jacques Billard pour préciser ce projet de place. La recherche de fluidité de la circulation automobile fut traduite dans un plan dégagé et un dessin en hémicycle dans l'axe d'une rue Denis-Papin élargie. Ce faisant, il préserva également les perspectives et les vues découvertes après les destructions et les déblaiements de la ville. Il préconisa pour cela l'ouverture de deux voies rayonnantes, étroites (sept mètres de large) et piétonnes, assurant d'une part la vue sur le clocher Saint-Louis et d'autre part la vue sur la place Louis-XII. Dans cette étude, les deux architectes dessinèrent également la discipline spéciale d'architecture à laquelle la construction des immeubles sur le place devait être soumise. Le nombre d'étage fut limité à deux étages carrés et un étage de comble au-dessus du rez-de-chaussée. Le long de la rue Denis-Papin cependant, il fut décidé dans un modificatif faisant suite à une requête du conseil municipal, d'autoriser la construction d'immeubles de même hauteur que ceux conservés dans la partie épargnée de la rue soit : un rez-de-chaussée, trois étages, et un étage de comble. Le style proposé, caractérisé par la régularité des rythmes verticaux et horizontaux et l'usage de matériaux locaux - pierre de taille, brique, ardoise - était sobre et élégant.
Une place symbolique
La reconstruction de Blois ne commença pas avant la Libération mais elle commença, très symboliquement, par l'îlot J donnant sur le rond-point de la Résistance. La construction de l'îlot J, lancée en 1946, fut le lieu de la cérémonie de pose de la première pierre de la reconstruction de la ville par le Ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme, François Billoux, le 22 septembre 1946. Tous les plans d'exécution des immeubles donnant sur la place furent établis par l'architecte Paul Robert-Houdin et respectèrent rigoureusement les dispositions proposées dans l'étude spéciale d'architecture de Charles Nicod et Jacques Billard. Après l'îlot J, la construction de l'îlot I commença en 1949, puis suivirent celles des îlots H à partir de 1950, et K à partir de 1951. L'aménagement de la place elle-même n'intervint que dans la seconde moitié des années cinquante lorsque les travaux des immeubles formant son cadre architectural furent achevés et que la place fut dégagée des matériaux de construction qui y étaient stockés.
La place de tête de pont dans la reconstruction blésoise
La création de la place de tête de pont est un point central du plan de Reconstruction et d'Aménagement de Blois dont elle synthétise une grande partie des questionnements. Il s'agit tout d'abord d'un rond-point. Dans la perspective de l'urbanisme rationalisateur de l'époque, qui repensa la ville avec l'automobile, elle eut tout d'abord pour fonction de faciliter la circulation. Mais la place de tête de pont constitua aussi une nouvelle entrée sur la partie basse de la ville et une vitrine de sa reconstruction tout en s'intégrant architecturalement dans son environnement par son gabarit, ses formes et ses couleurs.