Dans la nuit du 16 au 17 juillet 1944, des bombardements atteignent gravement la cathédrale Saint-Cyr Sainte-Julitte de Nevers. Ils détruisent les parties hautes de l’abside gothique et les travées orientales de la nef ainsi que toutes les verrières de l’édifice.
La restitution des éléments architecturaux étant achevée en 1960, l’administration envisage la réfection des vitraux. Lors de la délégation permanente de la commission des Monuments historiques du mois d’octobre, l’architecte en chef des Monuments historiques qui a suivi les travaux de Nevers, Pierre Lablaude, propose un concours entre maîtres-verriers sur un programme iconographique arrêté par le clergé. Cependant, devant l’ampleur du projet, il est décidé dans un premier temps de poser une vitrerie blanche provisoire.
A partir de cette période débute un long débat autour de la création des vitraux de la cathédrale de Nevers. L’administration propose, dès le début des années 1960, de confier la réalisation des vitraux à un ou plusieurs artistes, mais le choix de ces derniers suscite de nombreuses discussions et hésitations.
Les travaux se déroulent suivant la chronologie suivante (nous avons orienté celle-ci sur les verrières réalisées par Gottfried Honegger et Jean Mauret, objets de notre propos) :
- En 1962, Jacques Dupont, inspecteur général des Monuments historiques, propose de confier les vitraux à Jean Bazaine et Alfred Manessier qui rendent un avant-projet à la commission des Monuments historiques en 1964. Durant les années suivantes, les deux artistes se découragent devant une administration qui n’arrive pas à prendre de décision ferme. Leur projet est définitivement abandonné vers 1971.
- A la même époque, un groupe de peintres-verriers (Mireille et Jacques Juteau, Claude Baillon, Louis-René Petit) proposent de réaliser les vitraux, mais leur offre n’est pas retenue.
- En 1973, la question du remplacement des vitraux est abordée de façon plus précise et Raoul Ubac est pressenti pour la partie romane de l’édifice. Les quatre baies du chœur roman sont réalisées par Ubac et le verrier Charles Marq (atelier Simon) au début des années 1980. La mort de Raoul Ubac en 1985 fait abandonner l’idée d’une éventuelle poursuite du programme dans le transept.
- En octobre 1980, Bernard Collette, architecte en chef des Monuments historique chargé des travaux, explique que « compte-tenu de l’ampleur du projet et de son étalement dans le temps une programmation générale et un parti décoratif d’ensemble doivent assurément être arrêtés avant tout début d’intervention. Plusieurs zones peuvent être définies : chœur roman, nef haute, nef basse, chœur haut, chœur bas. (…) Il me paraît possible de recruter, par sélection ou concours, un certain nombre d’artistes qui auraient à fournir des œuvres indépendantes et originales mais à travailler en commun pour la mise en harmonie de toutes ces œuvres ».
- En 1981, un groupe de travail sous la présidence de Michel Parent, inspecteur général des Monuments historiques, est constitué. Il a notamment pour mission de "préserver la cohérence du projet sans limiter la capacité de création et sans exclusive de génération ni de tendance". Un zonage est défini (répartition des verrières en lots séparés). Une première liste de 34 artistes pressentis est établie en 1982. Cette liste comprend notamment les noms des verriers Emmanuel Chauche, Sylvie Gaudin, Guy Meliava, Charles Marcq, Jean Mauret, Jean-Luc Perrot et des artistes Jean Bazaine, René Dürrbach, Maurice Estève, Sam Francis, Simon Hantaï, Gottfried Honegger, Alfred Manessier, Joan Mitchell, Aurélie Nemours, Pierre Soulages, Claude Viallat…
- Lors de la séance du 8 juillet 1982 de la Commission du Vitrail consacrée à la création de vitraux à Nevers : le président de la Commission (Michel Parent) souligne les circonstances administratives et financières favorables au projet : "résorption des dommages de guerre, progression de la commande publique, impulsion à la création et encouragement aux métiers d'art"
- Vers 1983 : devant l’indécision de l’administration, le groupe Hyalos (8 verriers dont Jean Mauret) envoie une candidature spontanée pour réaliser les vitraux de Nevers. Cette demande n’aboutit pas.
- En 1983, devant la « craintes de voir l’unité d’ensemble de la cathédrale compromise par la juxtaposition d’œuvres qui n’auraient pas eu la complémentarité nécessaire », le choix de l’administration se porte sur une équipe de seulement trois artistes : Simon Hantaï, Sam Francis et Pierre Soulages. Cependant, des contraintes techniques (verres collés en particulier) contraignent à l’abandon du projet en 1984.
- En 1988, un programme iconographique est établi par la Commission Diocésaine d’Art Sacré et l’association Regards sur la cathédrale de Nevers. Ce programme est remis aux artistes "à titre indicatif et non comme une contrainte à respecter".
- La même année, une équipe de neuf artistes est sélectionnée : Joan Mitchell, Brice Marden, Franck Stella, Ellsworth Kelly, François Rouan, Claude Viallat, Jean-Michel Alberola, Gottfried Honegger et Markus Lüpertz. Les premières maquettes sont présentées.
- En 1989, les 4 artistes américains se retirent du projet et la réalisation des vitraux est répartie entre Rouan (nef basse), Honegger (nef haute), Alberola (massif occidental), Lüpertz (déambulatoire) et Viallat (chœur haut).
- Une grande maquette de la cathédrale de Nevers (on peut pénétrer à l’intérieur) est réalisée dans les ateliers des Gobelins pour mieux visualiser les esquisses des artistes. Cette maquette est aujourd’hui détruite.
- Lors de la séance de la Commission Supérieure des Monuments historiques du 10 juillet 1989, les projets de Viallat, Rouan, Alberolla et Honegger sont examinés. Ceux de Gottfried Honegger sont rejetés à l’unanimité par les membres de la Commission qui reprochent à l’artiste de "faire cavalier seul", de proposer des vitraux "totalement inadaptés à l’emplacement proposé" et d’être dans le "refus systématique de la soumission à la forme architecturale". Malgré l’avis défavorable de la Commission Supérieure concernant les maquettes d’Honegger, celui-ci est tout de même intégré au projet de réalisation des vitraux de la cathédrale de Nevers (sans doute sa candidature a-t-elle été soutenue par Jack Lang, ministre de la Culture).
- Lors de la Commission Supérieure de juillet 1989, il est proposé de confier à Jean-Pierre Raynaud le traitement des fenêtres de la crypte. Cette idée n'aura pas de suite.
- Probablement courant 1989, les artistes choisissent les maîtres-verriers pour la réalisation de leurs projets : l’atelier Simon-Marq pour François Rouan, l’atelier Bernard Dhonneur pour Claude Viallat, l’atelier Jean Mauret pour Gottfried Honegger et l’atelier Pierre Defert (puis l’atelier Duchemin après le décès de M. Defert en 1991) pour Jean-Michel Alberola.
- La première rencontre entre Honegger et Jean Mauret a lieu à l’atelier de Saint-Hilaire-en-Lignières en 1989. D’autres réunions de travail se dérouleront par la suite, soit à l’atelier (le 2 février 1991 notamment), soit à Nevers, soit encore aux domiciles de l’artiste (à Paris et à Cannes).
- La réalisation des vitraux de Nevers débute fin 1989 par les fenêtres hautes du chœur et celles de la partie romane (ouest), sur des projets de Claude Viallat et de Jean-Michel Alberola.
- Un devis, adressé à Bernard Collette (architecte en chef des Monuments historiques), est rédigé par Jean Mauret en décembre 1989 pour les 10 baies de la nef haute : il prévoit de la peinture à ce stade (finalement il n’y en aura pas).
- En juillet 1990, lors d’une réunion de chantier, Jean Mauret présente un panneau d’essai proposant des verres de grandes dimensions, "au module des barlotières sans recoupe de plomb". Cette disposition nécessitant un collage des deux épaisseurs de verre est rejetée et il lui est demandé de rechercher une réalisation plus traditionnelle présentant moins de danger de chute de verres. Finalement, le verre choisi pour les fonds clairs sera un verre opalescent plaqué acheté en Allemagne.
- Lors de la séance de la Commission Supérieure de janvier 1991, il est décidé que, "suite aux désistements de certains artistes (les américains), des extensions de zones d’intervention sont proposées aux artistes déjà investis". Gottfried Honegger se voit ainsi attribuer les trois baies de la crypte, Claude Viallat cinq baies supplémentaires du chœur gothique, François Rouan trois baies du transept et Lüpertz trois baies des chapelles nord et sud.
- En décembre 1991, outre les vitraux d’Ubac dans le chœur roman, réalisés depuis de nombreuses années, sont déjà en place : 7 fenêtres d’Alberola, 2 fenêtres de Rouan, 2 fenêtres de Honegger, 5 fenêtres de Viallat.
- De 1990 à 1993, Jean Mauret réalise la baie 113 (tranche expérimentale) puis les baies 115, 117, 119 et 121 de la nef haute côté nord.
- De 1993 à 1996, Jean Mauret réalise les vitraux des baies 114, 116, 118, 120 et 122 de la nef haute côté sud.
- En avril 1993, les maquettes de Honegger pour la crypte sont présentées lors d’une réunion par Jean-Michel Pheline (inspecteur principal de la création artistique).
- en 1995, les objections importantes de la part de l’Évêque de Nevers suscitées par le projet de Lüpertz provoquent le désistement de ce dernier. Suite au retrait de Lüpertz, les vitraux du déambulatoire sont octroyés à Albérola.
- malgré la présentation en 1993 par Honegger de nombreuses maquettes pour la crypte, aucun choix n’est formulé par la Direction de l’Architecture et du Patrimoine avant 1996. Ce choix semble avoir été fixé suite à une réunion de février 1996.
- En décembre 1998, Jean Mauret adresse un devis à M. Barnoud (architecte en chef des Monuments historiques) pour les trois vitraux de la crypte (6,50 m² au total).
- En juillet 2000, les travaux des vitraux de la crypte sont réceptionnés. La même année, du verre feuilleté est posé pour protéger ces trois vitraux.
- 2009 : réception du chantier des vitraux. Les derniers vitraux posés sont ceux de Rouan dans le transept.
- Le 29 avril 2011, les vitraux de la cathédrale de Nevers sont inaugurés.
Le programme de vitraux de la cathédrale de Nevers constitue la plus grande commande d’Europe de vitraux contemporains dans un monument historique : 130 baies couvrant 1052 m² au total. L’opération a fait l’objet d’une commande publique et a été conduite conjointement par la Direction des Arts plastiques et la Direction du patrimoine, en concertation étroite avec les autorités religieuses. Les travaux ont été dirigés par l’architecte en chef des Monuments historiques Bernard Collette puis par son successeur Paul Barnoud.
Malgré une volonté initiale d’éviter une juxtaposition d’œuvres disparates et un désir de donner une cohérence à l’édifice, il est souvent reproché un manque d’unité à l’ensemble de vitraux présentés dans la cathédrale de Nevers, chacun des artistes ayant offert sa propre réflexion face à ce projet démesuré. Cette expérience a conduit l’administration, pour les commandes publiques postérieures, à choisir de préférence un seul artiste par édifice. C’est le cas notamment pour Blois avec Jan Dibbets (2000), pour Varennes-Jarcy avec Carole Benzaken (2002), pour Villeneuve-lès-Maguelone avec Robert Morris (2002), pour Villenauxe-la-Grande avec David Tremlett (2005) ou encore pour Saint-Gildas-des-Bois avec Pascal Convert (2008).