Contexte historique et urbain
Quartier des Blossières, projet de Jean Royer, 1948. (Archives départementales du Loiret, Orléans, 172 X 31052).Suite aux destructions provoquées par les bombardements de mai 1944, Jean Royer, urbaniste en chef de la reconstruction du Loiret, étudie un projet complémentaire d'aménagement et de reconstruction de la ville d'Orléans. Ce plan, soumis pour la première fois au conseil municipal en mai 1946, est approuvé le 4 mars 1949 par le Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme et le Ministère de l'intérieur. Le quartier de compensation des Blossières s'inscrit dans le projet du nouveau quartier des Murlins (image ci-dessus) présenté par Jean Royer en 1948 dans son rapport justificatif du Projet de Reconstruction et d'Aménagement (P.R.A.). Ce quartier devait comprendre environ 700 logements (dont 350 en individuel) bénéficiant de tous les équipements nécessaires : des groupes scolaires, une piscine, des terrains de sports, un centre de formation professionnelle, une église, une bibliothèque, des commerces (voir annexe 1).
Dans son ensemble, les références urbaines et architecturales du nouveau quartier des Murlins sont celles de la cité-jardin, celle du début du 20e siècle de l'architecte Raymond Unwin en Angleterre, mais aussi celle de l'urbaniste Louis Van der Swaelmen qui est à l'origine des principales réalisations belges des années 1920-1940. En effet, l'idéal social à la base de la conception des cités jardins de Van der Swaelmen a du inspirer Jean Royer dans la conception urbaine du nouveau quartier en associant l'implantation d'équipements publics et des habitations amenées à former ce qu'il a appelé une "véritable unité résidentielle" et un "quartier d'expérience". La référence apparaît d'autant plus explicite que Jean Royer cite dans un album de présentation du P.R.A. l'une des réalisations majeures de l'urbaniste belge, la cité jardin de la société coopérative le Logis construite dans la banlieue de Bruxelles à partir de 1922 et reconnue pour ses qualités paysagères et constructives.
Seule la partie sud du quartier des Murlins, constituée du quartier de compensation des Blossières et le quartier du Pont-Bannier (immeubles collectifs situés de part et d'autre de la rue du Faubourg-Bannier) sera réalisée conformément aux dispositions du plan Royer, la partie nord ayant fait l'objet d'un nouveau plan approuvé à la fin des années 1960.
La conception du lotissement
Dans le premier projet connu, Jean Royer énonce les grands axes de composition urbaine qui seront adoptés en 1948 (doc. 3, 4 et 5) et dont les principes se réfèrent aux cités jardins anglaises et belges. Le plan d'ensemble s'appuie sur un traitement différencié des espaces publics et des profils de voirie associés à une composition végétale.
Vue de la rue du 16-Août-1944.Le quartier s'organise autour d'une place centrale arborée fermée par trois blocs d'habitations et vers laquelle convergent trois rues. Tout en évoquant la place des Acacias qu'elle était amenée à reconstituer (quartier des Acacias, réalisation de la Société immobilière d'Orléans, 1883), le dessin de la place évoque celui de la place dite en bras de turbine médiévale dont les vertus avaient été décrites dès 1889 par l'architecte viennois Camillo Sitte dans son ouvrage L'art de bâtir les villes puis vingt ans plus tard par l'architecte anglais Raymond Unwin (L'étude pratique des plans de ville, introduction à l'art de dessiner les plans d'aménagement et d'extension1). Ce type de place, qui créé des espaces visuellement fermés (par les blocs d'habitations) et introduit l'idée du cheminement ou de la coulisse, apparaît comme une référence importante au sein des aménagements urbains orléanais de cette période. En effet, Jean Royer en fait également une figure centrale dans son projet d'aménagement du quartier de l'Argonne (non réalisé) tandis que Léon-Émile Bazin l'emploie aux Beaumonts et dans une moindre mesure au Clos-Belneuf.
Les voies de desserte, dont le tracé s'appuie en partie sur la topographie existante, dessinent un système hiérarchisé. À l'est, à l'ouest et au sud de la place, trois rues introduisent des ruptures d'alignement central, bordées de blocs de deux ou quatre habitations précédées de plantations d'alignement. Ce principe, que l'on retrouve dans un second quartier de compensation orléanais (le Clos-L'Évêque), se réfère à l'une des figures de la cité-jardin anglaise de Letchworth construite à partir de 1903 (Raymond Unwin architecte). Les entrées sont signalées, à l'est et à l'ouest, par des maisons jumelées ou individuelles implantées à 90°. À l'est, la rue relie deux places dont l'une, au sud, sert d'écrin à un groupe de trois maisons fermant la perspective. Dans tous les cas, l'implantation des maisons est basée sur une symétrie axiale ou longitudinale employée également au centre du lotissement, dans une rue bordée de maisons en coeur de parcelle. En coeur d'îlot, les jardins sont desservis par un réseau de chemin qui s'appuie à l'est sur le tracé des anciennes venelles du quartier. On remarquera à l'ouest les chemins se réunissant en une placette arborée dont la forme constitue l'expression aboutie de la place en bras de turbine.
Plan-masse du lotissement, 1948. (Archives municipales et communautaires d'Orléans, 3239).Le plan définitif adopté en 1948 (image ci-dessous), sur lequel s'appuie le géomètre Larramendy pour dessiner le plan-masse, reprend l'essentiel des études antérieures et introduit différentes variantes. À l'est, Jean Royer modifie le profil de voirie et adopte, pour la construction d'un groupe de quatre maisons en retrait d'alignement, une disposition concave toujours inspirée de la cité-jardin de Letchworth. Si l'auteur a supprimé le réseau de chemins en coeur d'îlot, il ajoute six impasses, dont deux desservent les fonds de parcelle des immeubles bordant la place centrale. Mais surtout, l'urbaniste introduit dans ce projet un des principes de composition théorisé par Raymond Unwin : le close (une voie en cul-de-sac bordée de maisons). Dans la partie ouest du lotissement, une rue courte et étroite débouche sur une place rectangulaire fermée au sud-ouest par un angle arrondi en direction de la place centrale. Le modèle proposé se réfère ici au close en T mis en application à Hampstead (Asmuns place), une autre cité-jardin située dans la banlieue de Londres réalisée plus de quarante ans plus tôt (1905-1907).
Vue de la chapelle des Blossières, rue du Maréchal-Leclerc.Globalement, le quartier a été réalisé conformément au plan-masse de Larramendy. Deux modifications ont été opérées après le démarrage des travaux de construction. La chapelle de secours des Blossières (Leroux architecte, 1959) a été édifiée au sud de la place de la Nouvelle-Orléans à l'emplacement d'un bloc d'immeubles prévu dans les projets initiaux. Par ailleurs, le bloc nord-est en L fermant la place de la Nouvelle-Orléans a été divisé en deux blocs d'immeubles distincts.
Caractéristiques morphologiques et architecturales
Le lotissement présente une grande cohérence formelle reposant sur une mise en forme architecturale adaptée à l'espace public (par la définition de gabarits) associées à un règlement définissant les niveaux d'élévation. L'ambiance qui se dégage de l'ensemble est celle d'un village, sorte de cité modèle construite sur un temps très court, avec ces rues convergeant vers la place centrale où se concentrent quelques uns des équipements indispensables à la vie courante, les commerces et le lieu de culte (la chapelle des Blossières).
Vue du terrain de jeux pour enfants et du square, place de la Nouvelle-Orléans.La place de la Nouvelle-Orléans, occupée par un square et un jardin d'enfants est fermée sur trois de ses côtés par des immeubles conçus d'un seul bloc (Royer, architecte ?) mais dont la réalisation a été confiée aux architectes désignés par les sinistrés. Construits à partir de 1954, ces immeubles présentent une composition architecturale chère au Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme (MRU). Réunissant une soixantaine de logements au total, ils se composent d'un rez-de-chaussée à boutique (pour les blocs nord et est), traité en moellons apparents jointoyés en ciment, et de deux étages carrés enduits. Ils sont couronnés de corniches de ciment peint sur lesquelles reposent de hautes toitures à longs pans et croupes en ardoise ponctuées de lucarnes à croupes et de hautes cheminées. Chaque bloc est mis en travées au moyen de l'alignement des baies à encadrements préfabriqués, de pseudo pilastres délimitant chaque unité de construction et de chaînes d'angle en moellon d'appareil régulier. Des pignons triangulaires à base interrompue accentuent enfin l'ordonnance classique de l'ensemble.
Maison, 14 rue des Fusillés-1944-1945.Tout en respectant les 4 m de retrait définis dans le P.R.A. (à l'exception des passages, plus étroits), chaque rue a reçu un profil différencié dont le traitement repose sur l'implantation des habitations (isolées ou groupées de deux à cinq unités) et le nombre de niveaux autorisés (un ou deux niveaux droits et comble). Les maisons alignées le long des passages, groupées par deux ou trois unités, présentent généralement une élévation modeste en rez-de-chaussée parfois surmonté d'un étage de comble, plus rarement à un étage carré (passage du Coulon). La rue des Fusillés-1940-1945 a reçu un traitement pittoresque basé sur une perception séquencée induite par l'alignement concave des habitations. Ce traitement trouve une autre expression rue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, où les maisons (en particulier les pavillons à pignon sur rue), implantés au coeur d'un jardin, sont disposées en quinconce (retrait de 6 ou 10 m). La disposition symétrique employée ici est également visible rue Louis-Braille, depuis laquelle on accède au close. Celui-ci se compose de la rue Lormier-dit-Magloire bordée de deux bandes de maisons symétriques et de la place Dundee où les maisons sont implantées plus librement.
Dans l'ensemble du quartier, la construction traditionnelle en brique ou en moellon sous enduit perdure mais la polychromie qui caractérisait encore les maisons d'avant guerre disparaît tandis que l'on voit se développer l'usage du béton visible en façade à quelques saillies (balcons ou auvents). Les maisons de la reconstruction se caractérisent à quelques rares exceptions par des façades standardisées rythmées par l'alignement de baies quadrangulaires normalisées. La modénature y est souvent réduite au simple jeu des encadrements à profils fins utilisant deux procédés : encadrements et corniche en brique ou en ciment peint. Plus rare est l'association de la brique et du moellon apparents, utilisés pour souligner des fenêtres réunies dans un bandeau à encadrement de ciment ou brique et séparées par un trumeau élargi en brique ou en moellon (15-15 bis rue des Blossières, 21 et 23 rue du Maréchal-Leclerc).
Maison, 17 rue des Fusillés-1940-1944.Le moellon en appareil régulier rythmant les façades, observé place de la Nouvelle-Orléans, est employé pour d'autres groupes de maisons, plus particulièrement aux points forts de la composition urbaine, telles que les maisons jumelées situées au centre de la rue Louis-Braille (n°16-18) ou le groupe de cinq habitations de la rue du Maréchal-Leclerc (n° 11 à 17 et n°2 rue du Seize-août-1944). Dans d'autres groupes, l'animation des façades est simplement assurée par l'emploi du moellon pour les piédroits des portes, fenêtres et lucarnes (n° 12-14 rue Louis-Braille ; rue Lormier-dit-Magloire). L'économie de la construction excluait en définitive toute ornementation. Dans ce contexte, la maison située au n° 17 rue des Fusillés-1940-1944, ornée des céramiques de Jeanne Champillou, fait ainsi figure d'exception.