Le lotissement a été créé vers 1893-1894 à l'emplacement d'anciennes pépinières. Dauvesse, qui cesse probablement son activité à cette période, s'était installé dans le quartier vers 1844, date à laquelle il avait acheté un premier terrain situé en bordure de la rue Fosse-de-Meule (Archives municipales et communautaires d'Orléans, états parcellaires). Sa propriété s'étendit ensuite peu à peu jusqu'en 1877 environ, par achats successifs des parcelles attenantes, jusqu'à atteindre les abords de l'avenue Dauphine. Durant la dernière décennie du 19e siècle, l'achèvement de la nouvelle église Saint-Marceau en 1891 (excepté le clocher terminé en 1898) et les perspectives de développement du quartier encouragent vraisemblablement le propriétaire à valoriser ses terrains.
La création du lotissement
Plan de la propriété Dauvesse et voie à ouvrir.Afin de procéder au lotissement de sa propriété, Dauvesse envisage en 1893 l'ouverture d'une rue de 8 m de largeur sur 350 m de longueur partant de l'avenue Dauphine et se dirigeant vers le cimetière Saint-Marceau (annexe 1, doc. 3, 4 et plan ci-contre). Dans un courrier adressé au maire d'Orléans daté du 5 août 1893 (voir annexe 1), il se propose également de céder gratuitement un terrain devant l'église Saint-Marceau, destiné à l'aménagement d'une place, proposition qui coïncide avec une pétition des habitants du quartier datée de juin 1893 demandant l'acquisition de ce terrain par la Ville.
Perspective sur l'église Saint-Marceau, depuis la rue de Vaucouleurs.Pour la municipalité, le percement d'une nouvelle rue constitue une véritable opportunité de mener une réflexion sur l'aménagement du quartier Saint-Marceau. Il s'agit ainsi d'améliorer le réseau de circulation pour répondre aux besoins de la population, en constante progression depuis les années 1870, et d'assainir un secteur régulièrement touché par les inondations par l'aménagement d'égouts. La perspective de relier l'église au cimetière Saint-Marceau constitue ainsi un argument de poids en faveur des conditions proposées par le propriétaire, qui demande la prise en charge totale des frais de viabilisation de la nouvelle rue (qui sont habituellement, d'après le règlement municipal sur la voirie et les constructions, à la charge du propriétaire). Le 27 novembre 1893, la municipalité accepte de prendre en charge les travaux de voirie et la largeur de la nouvelle rue est portée à 10 m Parallèlement, la municipalité envisage le percement de la future rue Vandebergue-de-Villiers sur les terrains du Bureau de Bienfaisance qui sera adopté le 1er juillet 1901 et réalisé en 1902 (voir lotissement du Bureau de Bienfaisance).
Maison, 27 rue de Vaucouleurs.En 1903, Mme Dauvesse (veuve) propose l'ouverture de deux nouvelles rues, dans les mêmes conditions que la première, cédant gratuitement l'assiette nécessaire à la rue et laissant les travaux de viabilité à la charge de la commune. L'une doit relier les rues de la Cigogne et de Vaucouleurs (de 104 m sur 8 m de large) et l'autre doit relier cette rue à l'avenue Dauphine (180 m sur 10 m). Le projet ne sera toutefois jamais réalisé en raison du refus de la Ville de participer aux travaux de voirie. Dès lors, si l'on s'en tient aux mesures indiquées par le propriétaire (le plan n'a pas été retrouvé), la vente d'un terrain de 3733 m² à Vacher en 1917-1918 laisse supposer que l'emprise d'une des nouvelles rues devait se situer à cet emplacement. Vacher ouvrira lui-même une nouvelle rue dans les années 1920 (l'impasse Dauphine) et procèdera au lotissement de son terrain (voir lotissement Vacher).
Caractéristiques morphologiques et architecturales
En raison de son étendue (environ 6 ha) et du statut de la voirie, le lotissement Dauvesse possède des caractéristiques morphologiques et architecturales hétérogènes. À l'image du lotissement du bureau de Bienfaisance, les édifices de l'avenue Dauphine (n° 62 bis à 88) se signalent par un volume important (d'un étage carré et comble mansardé à deux étages carrés) et une grande richesse formelle. Résultat d'une concertation entre les propriétaires, ces édifices présentent une continuité spatiale matérialisée par l'alignement horizontal des baies, des bandeaux, des corniches et des faîtes. L'homogénéité architecturale qui en découle est accentuée par le phénomène de groupement des édifices, particulièrement présent le long de l'avenue et à l'entrée de la rue de Vaucouleurs, qui témoignent des investissements immobiliers effectués par certains propriétaires. Maisons accouplées, 74-76 avenue Dauphine.C'est le cas d'Eugène Picard, marchand de graines fourragères, qui fait bâtir quatre maisons dont un groupe de trois maisons accolées (n° 62 bis à 64 bis, n° 72) et Edmond Guillon, entrepreneur de bâtiments, qui construit pour son propre compte six édifices (n° 74-76, image ci-contre, et n° 82 associé aux n° 2, 4 rue de Vaucouleurs, et 6 rue de Vaucouleurs). À l'instar de la rue de Chanzy, construite une dizaine d'années plus tôt, les édifices de l'avenue dauphine affichent en façade la position sociale privilégiée de leurs propriétaires ou de leurs locataires. Ainsi les bossages continus (en rez-de-chaussée ou sur toute la façade pour les n° 74-76), l'appareillage de briques polychromes (bandeaux ou motifs géométriques) et les balcons du premier étage supportés par d'épaisses consoles participent-ils à l'animation des façades. L'adoption de l'éclectisme architectural en vogue à la fin du 19e siècle, telles que les deux maisons n° 74-76 puisant leurs références dans le style Louis XV ou la maison n° 70 construite dans un style néo-gothique (parement de brique losangé, motifs trilobés aux allèges, arcs en accolade, pinacle, culots) accentuent la prédominance de ces édifices sur le reste du bâti du lotissement.
Paire de maisons, 43-45 rue de Vaucouleurs.Rue de Vaucouleurs ou rue de la Cigogne, la variété des édifices empêche de supposer l'existence d'un quelconque cahier des charges. Tout juste peut-on observer quelques groupements d'édifices jumelés (n° 22-24, n° 79-81 rue de Vaucouleurs, n° 34-36 rue de la Cigogne), accolés (n° 43-45 rue de Vaucouleurs) ou isolés (n° 49 et 53, n° 73 et 77 rue de Vaucouleurs) et certains alignements d'édifices (fig. 23).
Les possibilités offertes par les parcelles en lanières avaient dû attirer une population modeste désirant profiter de vastes jardins. On remarque ainsi quelques maisons ouvrières en rez-de-chaussée construites en moellon enduit, dont les façades sont soulignées par l'emploi en second-oeuvre (piédroits, linteaux segmentaires, chaîne d'angle, corniche) de la brique rouge (n° 36, 38, 46 rue de Vaucouleurs) ou de la brique silico-calcaire (n° 73 et 77 rue de Vaucouleurs). Dans les années 1910, quelques maisons de la rue de la Cigogne précédées d'un jardinet clôturé par un mur surmonté d'une grille métallique (n° 26, 28, 34, 48, 58) sont construites sous le régime des habitations à bon marché (lois Ribot en 1908 encourageant l'accession à la propriété).
Immeuble, 6 rue de Vaucouleurs.
Par ailleurs, les maisons étroites à un étage carré et les petits immeubles d'un étage carré et trois travées ont connu un développement important dans le lotissement, en particulier rue de Vaucouleurs. Ces constructions de moellon apparent et enduit emploient également le plus souvent la brique rouge ou silico-calcaire en second-oeuvre et en décor, selon des dispositifs courants à Orléans (linteaux et arcs segmentaires, corniches denticulées, dents d'engrenage, chaînage d'angle et des piédroits, etc.).
Maison, 28 rue Vandebergue-de-Villiers.
Certaines maisons, plus soignées, se distinguent par leur implantation (retrait, isolement dans la parcelle) et des plans plus complexes. On remarquera ainsi la tour carrée couronnée d'un toit en pavillon sur aisseliers de la villa au n° 31 rue de Vaucouleurs (1907) ou la maison n° 28 rue Vandebergue-de-Villiers (Coursimault architecte, 1905, ci-contre) flanquée d'une demi-tour arrondie et singularisée par son ornementation Louis XVI. D'autres édifices s'affirment par les matériaux de façade à l'image de la maison n° 32 rue de Vaucouleurs, bâtie sur les plans de l'architecte Moulin en 1905, qui présente une mise en oeuvre en brique jaune rayée de briques rouges soulignée par une frise damière. Cette maison s'apparente à la maison n° 37 (ci-dessous), remarquable à ses colonnes d'inspiration delormienne qui flanquent les angles du rez-de-chaussée et à l'expressivité générée par l'emploi de la brique polychrome, des linteaux métalliques et de la pierre meulière.
Maison, 37 rue de Vaucouleurs.Le paysage du lotissement et du quartier est d'ailleurs fortement marqué par l'emploi de la pierre meulière, courant en région parisienne mais relativement peu répandu à Orléans. Sa diffusion au début du 20e siècle trouve ici de multiples déclinaisons. Elle est ainsi employée dans certains édifices sous forme concassée ou de moellons en remplissage sous les arcs de décharge, en panneaux décoratifs (n° 10, 37 rue de Vaucouleurs, image ci-contre ; 47, 67 rue de Vaucouleurs, 22 rue de la Cigogne) ou en bandeau (n° 16 rue de Vaucouleurs). D'autres édifices en revanche, à l'image de la villa dite la Treille située dans le lotissement voisin du Bureau de Bienfaisance (n° 12 rue Vandebergue-de-Villiers), l'utilisent en plein-de-façade : la maison n° 16 (1916) offre de ce point de vue une remarquable mise en oeuvre de moellons de meulière à joints creux.
Ancien établissement religieux, 44 rue de Vaucouleurs.Enfin, si les habitations constituent l'essentiel du bâti, plusieurs édifices témoignent des différentes activités présentes à l'origine dans le secteur : l'entrepôt d'Alfred Picard rue Fosse-de-Meule (derrière sa maison au n° 48 rue de Vaucouleurs), l'atelier d'un fabricant de métiers à tricots et bonneterie identifiable à ses sheds (n° 29 rue de Vaucouleurs), un pépiniériste rue de la Cigogne (n° 26). La présence d'un établissement catholique au n° 44 (image ci-contre), sur un terrain acquis par l'abbé Caillette, est par ailleurs tout à fait exceptionnelle : l'immeuble précédé d'un pavillon s'étend sur plus de 40 m et accueillait à l'origine de multiples fonctions liées au divertissement (salle de billard, salle de spectacle, salle de conférence, galerie du théâtre).