I - Contexte historique et urbain
Hôtel, 7 rue de Chanzy.Le lotissement a été réalisé en 1886 par les industriels et négociants Louis-Henri et Henri-Félix Daudier sur les terrains de la manufacture fondée par leur père, dont le siège était situé au n° 1 rue des Murlins (la fabrique a été démolie en 1992 pour y édifier la médiathèque actuelle). Les frères Daudier avaient formé en 1873 une société commerciale pour la fabrication de laine et autres tissus, la société « Daudier père et fils », dont l'existence a pris fin le 1er avril 1883. Alors que le quartier Dunois connaît une urbanisation rapide, le lotissement Daudier fournit à l'administration municipale l'occasion d'améliorer la circulation au sein du quartier. Le caractère d'embellissement de ce lotissement contribue, en particulier rue de Chanzy, à attirer une clientèle aisée à l'origine de quelques unes des demeures les plus marquantes du quartier Dunois.
L'ouverture des voies nouvelles
Le percement d'une rue dans la propriété des frères Daudier est envisagé dès 1876 au moment de l'élaboration du plan du quartier Dunois. Située dans l'axe de la nouvelle église Saint-Paterne, cette rue doit alors relier la place Bannier à la future place Dunois. Abandonnée en raison des frais engendrés par l'expropriation de la manufacture, cette idée est de nouveau discutée en 1885 lorsque les propriétaires envisagent l'ouverture de deux rues de 10 m de largeur pour lesquelles ils demandent à être indemnisés (voir annexe 1, ci-dessous). Le 13 mars 1885, la commission des travaux municipaux émet un premier avis et propose l'ouverture d'une seule rue de 12 m partant du carrefour formé par les rues de Lahire et de Patay et se dirigeant vers l'église Saint-Paterne. La commission envisage également de prendre en charge la moitié des frais d'ouverture, l'autre moitié restant à la charge des propriétaires.
Vue générale.En juillet 1885, les frères Daudier acceptant finalement de céder gratuitement le terrain nécessaire à l'ouverture et au classement futur des deux rues, le projet est alors réévalué par la commission qui propose de fixer la largeur des rues à 12 m de largeur et d'établir des pans coupés de 4 à 5 m. Cette décision est entérinée le 24 août 1885 par le conseil municipal qui accepte également que la Ville prenne en charge la totalité du coût des travaux de viabilité. Afin d'offrir un débouché à la rue de Chanzy, le conseil municipal votera au début de l'année 1889 l'expropriation des terrains nécessaires appartenant au propriétaire voisin Gouspilla.
L'ensemble de ces décisions demeure tout à fait exceptionnel dans le contexte orléanais de cette période et illustre le contrôle que la municipalité exerce pour embellir le quartier et en améliorer la circulation. Tout en concrétisant, avec l'ouverture de la rue du Commandant-Arago, une partie du projet municipal d'origine (1876), elle inscrit les deux nouvelles voies au sein du réseau qu'elle a elle même créé : les rues de Chanzy et du Commandant-Arago affichent une largeur qui excède celle des rues ouvertes dans d'autres lotissements privés de cette période (de 8 ou 10 m) et atteint celle des voies principales du quartier (les rue de Coulmiers, de Patay, Xaintrailles ou de Loigny).
La vente des lots
Détail du plan indiquant l'état des ventes dans le lotissement Daudier, vers 1888. (Archives municipales et communautaires d'Orléans, Série O, dossier 41).Les ventes s'effectuent entre 1886 et 1890 et attestent de la réussite du lotissement. Le plan de secteur dressé vers 1888 par la commission des travaux municipaux (doc. 4) permet d'avoir une idée des surfaces et des prix des terrains vendus tandis que les fiches auxiliaires cadastrales (AC Orléans) nous renseignent sur l'origine de quelques acquéreurs du lotissement. Les 29 lots représentés sur le plan sont vendus en majorité entre 25 frs le m² et 35 frs le m² mais on observe une variation selon l'emplacement et la superficie du terrain. Thibault acquiert par exemple le plus vaste terrain du lotissement (2230 m²) à 17 frs le m² pour y faire bâtir deux hôtels particuliers (n° 20 et 22 rue de Chanzy). Au contraire, les terrains situés en bordure du boulevard, moins étendus, sont vendus à des prix supérieurs : à 50 frs le m² pour Guillon (entrepreneur de bâtiments ?) au n° 2 rue de Chanzy et à 45 frs le m² pour Bardin-Sallé au n° 2 rue du Commandant-Arago. Ce dernier, marchand d'eau de vie en gros, fait bâtir un hôtel comportant ses bureaux entre 1892 et 1895.
Parmi les autres acquéreurs, il faut noter la présence de l'architecte Louis Guillaume, ancien ingénieur des Ponts-et-Chaussées et auteur de l'église Saint-Paterne reconstruite en face du lotissement. Il établit sa résidence et son atelier dans une maison construite en 1891 rue de Chanzy (n° 25). D'autres investissent par l'achat de plusieurs terrains qu'ils font bâtir avant de les louer ou les vendre. C'est le cas par exemple de Thibout, métreur en bâtiments, qui achète deux lots (12 bis et 26 rue de Chanzy), de Guillon (entrepreneur de bâtiments ?), de Félix Chouanet qui fait construire un groupe d'immeubles rue de Chanzy (n° 6 et 8, avec un autre propriétaire) et une maison à deux logements rue du Commandant-Arago (n° 23-25), ou encore de Mary-Guiton qui fait édifier une paire de maisons rue du Commandant-Arago (n° 12 et 14).
II - Caractéristiques morphologiques et architecturales
Hôtel, 1 rue du Commandant-Arago.Par sa proximité avec le boulevard Rocheplatte, la place Bannier et l'église Saint-Paterne, le lotissement Daudier occupe une place privilégiée au sein du quartier Dunois. L'entrée du lotissement se signale depuis le boulevard par deux constructions d'angle marquées au n° 1 rue du Commandant-Arago par une rotonde traitée en pierre de taille et couverte d'un dôme et au n° 2 rue du Commandant-Arago par un avant-corps arrondi surmonté d'une terrasse. Ce traitement d'angle particulièrement soigné, hérité du Paris haussmannien, constitue un élément marqueur et novateur au sein du paysage orléanais que l'on retrouvera à la fin du 19e siècle rue de la République.
Le lotissement est desservi par deux rues obliques partant du boulevard Rocheplatte en direction de la place Dunois ou du croisement de la rue de Patay et de Lahire. Si le tracé des voies est destiné à favoriser le découpage des parcelles, l'orientation de la rue du Commandant-Arago illustre les intentions municipales d'origine et participe à l'embellissement du quartier en ménageant une perspective sur l'église Saint-Paterne. Cependant, en raison d'un mauvais débouché (le prolongement au delà de la rue de Lahire n'a jamais été réalisé), la rue de Chanzy reliant le boulevard au carrefour formé par les rues de Patay et de Lahire constitue la voie la plus traversée du lotissement.
Vue de la rue du Commandant-Arago depuis la rue de Lahire. Au dernier plan, l'église Sainte-Euverte.
Plus que dans la rue du Commandant-Arago, les façades de la rue de Chanzy sont conçues comme des espaces de représentation. Le rez-de-chaussée sur cave y est le plus souvent surélevé de quelques marches flanquées d'un décrottoir à botte tandis que des balconnets ou de larges balcons précèdent les baies des étages. Les combles mansardés, percés de lucarnes couronnées de frontons triangulaires ou cintrés et établis au dessus de corniches quasiment continues, procurent un espace habitable supérieur et une plus grande ampleur à l'habitation. Si les maisons d'un étage et comble sur deux ou trois travées dominent, la présence de certaines constructions plus singulières atteste de la position hiérarchique supérieure de la rue de Chanzy par rapport à la rue du Commandant-Arago. S'y concentrent ainsi les édifices les plus remarquables du lotissement où les propriétaires revendiquent, pour eux-mêmes ou leur clientèle, une position sociale dominante.
La rue de Chanzy : des édifices remarquables, d'inspiration classique ou gothique
Dans ce paysage de constructions alignées sur la rue, la maison précédée d'un jardin au n° 16 rue de Chanzy, antérieure à la réalisation du lotissement (il s’agissait de l’habitation de Daudier, illustration ci-contre) fait figure d'exception. Présentant une façade symétrique scandée de pilastres en briques, elle s'apparente davantage à une demeure bourgeoise de campagne qu'à une maison de ville.
La présence de deux hôtels mitoyens (20 et 22 rue de Chanzy, cf. image ci-contre) bâtis par un seul propriétaire (Thibault en 1889) et destinés à la location est par ailleurs tout à fait originale. Les deux édifices, construits sur les parcelles les plus vastes et profondes du lotissement (plus de 1000 m² et jusqu'à 50 m de profondeur), partagent une élévation à quatre travées et une entrée cochère et ne se distinguent que par leur parement de façade enduit ou en brique.
Si l'inspiration classicisante qualifie la plupart des constructions de la rue de Chanzy, quelques maisons se réfèrent à l'architecture gothique. C'est le cas de la maison de Guillon au n° 7, achevée en 1891, dont la façade cumule les références au 15e siècle (croisées, arc en accolade et pinacles de la porte d'entrée, culots figurés, parement en briques losangées) ou de la maison de l'architecte Guillaume (n° 25, image ci-contre) qui se signale à son pignon de bois et de brique et ses motifs d'engoulants.
La rue du Commandant-Arago : une grande continuité spatiale
Si les édifices de la rue du Commandant-Arago affichent une plus grande sobriété ornementale, la continuité spatiale y est davantage marquée. Construites à l'aplomb de la voie et entre mitoyens, les maisons et petits immeubles (en particulier n° 7 à 37) partagent de nombreuses caractéristiques formelles et présentent pour la plupart une élévation semblable composée de deux niveaux droits surmontés d'un étage de comble aménagé sous un toit à longs pans brisés en ardoise.
Maisons jumelées, 31-33 rue du Commandant-Arago.L'homogénéité de l'ensemble s'appuie également sur une composition de façade semblable et la répétition d'un même module de façade à deux travées. Les maisons présentent généralement un mur sous-appui en pierre de petit appareil régulier et deux niveaux droits enduits séparés par des bandeaux horizontaux s'inscrivant dans la continuité des appuis de fenêtres. Au premier étage, les baies sont précédées de balconnets tandis que l'étage de comble, appuyé sur une corniche établie à la même hauteur, est éclairé par des lucarnes à fronton-pignon ou à arcs segmentaires flanquées de volutes. Si quelques unes de ces maisons se distinguent par l'emploi de la brique en second-oeuvre, la pierre calcaire demeure le matériau le plus employé.
Il faut enfin souligner la présence importante d'habitations groupées dans la rue du Commandant-Arago qui témoignent des investissements immobiliers effectués par un seul propriétaire ou de la concertation entre plusieurs acquéreurs (n° 12-14, 11-13, 19-21, 23-25, 27-29, 31-33), ou encore de l'action d'un seul entrepreneur (maisons identiques aux n° 11 et 14). À l'image des rues Xaintrailles (lotissement Chevallier-Escot) ou du Maréchal-Foch (lotissement Musson), ces constructions contribuent à renforcer l'unité formelle du lotissement.