1/ Enquête d'inventaire
Jeanne Champillou assise dans sa salle à manger (fin des années 1960).
L'enquête d'inventaire concernant l'oeuvre céramique mobilière et architecturale de l'artiste orléanaise Jeanne Champillou (1897-1978) a été conduite de 2005 à 2008 par Françoise Jouanneaux, chercheur au Service de l'Inventaire général du patrimoine culturel de la région Centre-Val de Loire, en collaboration avec l'Association Le Clos de Joÿe-Jeanne Champillou créée immédiatement après la mort de l'artiste afin de perpétuer son souvenir et de valoriser ses réalisations.
L'étude a porté sur un large éventail d'objets mobiliers domestiques, religieux et décoratifs, représentatifs de la création de l'atelier du Clos de Joÿe, fondé par Jeanne Champillou en 1947, essentiellement conservés dans des collections privées. Compte-tenu de la large et abondante production de l'atelier et de la dispersion qui s'en est inévitablement suivie, le corpus constitué n'a pu prétendre à l'exhaustivité ; en effet des pièces sont régulièrement découvertes par l'Association chez des particuliers. Cependant, la totalité des décors d'architecture a été repérée et étudiée ; décors réalisés pour la plupart à la suite des destructions de la Seconde Guerre Mondiale, auxquels ont été ajoutés dessins, peintures et estampes qui leur sont apparentés. Le champ d'intervention de l'atelier a principalement couvert Orléans et le Loiret, plusieurs communes du département du Nord (Armbouts-Cappel, Bergues, Comines, Dunkerque, Lederzeele et Téteghem) ainsi que de la région Centre-Val de Loire et de l'Ile-de-France (Louveciennes et Rueil-Malmaison). La connaissance des oeuvres a été essentiellement enrichie par les souvenirs de Jeanne Azambourg, collaboratrice de Jeanne Champillou de 1947 à 1978, et l'étude de la documentation conservée par l'Association Le Clos-de Joÿe mais également par des recherches dans des centres d'archives.
L'étude a permis de définir un corpus de 227 dossiers rédigés selon la méthodologie et les normes nationales de l’Inventaire général du patrimoine culturel, et illustrés par plus de 1 000 photographies, interrogeables sur la Plateforme Ouverte du Patrimoine (POP) du Ministère de la Culture, plateforme de diffusion des contenus numériques du patrimoine français (https://www.pop.culture.gouv.fr).
Une publication est parue en 2012 : Jeanne Champillou - Céramiques - Orléans et sa région. Lyon : Lieux Dits, 2012. (Collection Parcours du patrimoine, n° 372).
2/ Jeanne Champillou
Jeunesse (1897-1913)
Jeanne Champillou naît le 4 avril 1897 à Saint-Jean-le-Blanc, village situé près d’Orléans. Elle est la benjamine d’une fratrie de quatre enfants et compte deux sœurs et un frère. La famille est d’extraction modeste : du côté paternel, elle a été vigneronne pendant plusieurs générations dans les faubourgs nord d’Orléans (Coligny, Les Aydes). Les grands-parents maternels, natifs de Touraine, tiennent un commerce de bonneterie à Orléans où est employé son père, avant qu’il ne devienne aveugle en 1895. De sa petite enfance, Jeanne garde un souvenir heureux qui influencera ses choix d’artiste : "C’était la vraie campagne avec d’authentiques paysans, des bêtes, des odeurs d’étables et d’écuries, de blé, des foins en fleurs, une route poudreuse où passaient des charrettes attelées de chevaux et quelquefois, des romanichels, des soldats en manœuvre (…)".
Très jeune elle découvre la peinture avec sa mère qui l’emmène fréquemment au musée d’Orléans. Cet intérêt pour l’art se confirme peu à peu, notamment grâce à deux ouvrages dont les illustrations enchantent la petite fille : "un livre ancien des fables d’Ésope, orné de belles gravures, paysans et animaux qui font penser aux Le Nain" et un exemplaire de "Don Quichotte en images très savoureuses : lithographies d’Edmond Morin". Elle est scolarisée à l’école voisine de Saint-Denis-en-Val, ouverte par les Sœurs de Saint-Aignan qui dirigent un pensionnat à Orléans. Cependant, après la promulgation de la Loi de 1904 qui interdit l’enseignement aux congrégations, les Sœurs, qui ont refusé la sécularisation, sont expulsées de France et le pensionnat est déplacé à Comines-Warneton, commune belge située à la frontière française. Jeanne suit en Belgique les religieuses avec sa sœur Hélène et restera en pension jusqu’à l’âge de 16 ans, ne revenant dans sa région natale qu’aux vacances d’été.
Gravure et peinture (1913-1947)
En 1913, après l’obtention du brevet élémentaire, elle rentre définitivement dans sa famille qui habite désormais Orléans, Faubourg-Bannier. Le dessin l’attire : elle souhaite s’inscrire à l’École des beaux-arts, mais ses parents veulent pour elle un métier "honorable" lui assurant un revenu stable. Étant douée pour le piano qu’elle a étudié pendant ses années de pensionnat, il est décidé qu’elle sera professeur de musique. Parallèlement à la formation suivie à l’Institut musical d’Orléans, elle commence à dessiner en autodidacte, en copiant les maîtres et son environnement quotidien : "Tout me servit de modèles autour de moi : papa, maman, mes frère et sœurs, ma grand-mère qui jouait aux dames avec maman, moi-même, le chien, les poules, les lapins, les visiteurs, les passants, les voisins, la rue (…)". Elle donne ses premières leçons de musique en 1916 et peut acheter du matériel à dessin. A la même époque, elle fait la connaissance d’un artiste tchèque, blessé de guerre, du nom de Kralicek. Cet homme, auquel elle montre ses croquis, l’initie à la méthode de l’apprentissage du dessin de mémoire, qu’elle pratiquera toute sa vie : "le dessin peut se travailler sans crayon, sans papier, par l’observation. Exercer la mémoire de l’œil, faire des dessins de mémoire. Surtout n’allez pas à l’école, le meilleur maître c’est la nature ! Ce n’est pas l’enseignement qui fait les artistes. Ce qu’on apprend ce sont des recettes, l’art vient de l’âme et du cœur". Il l’encourage également vers la voie de la gravure. En 1919, elle achève sa première peinture à l’huile et commence à graver. Jusqu’à sa mort, elle peindra et gravera, réalisant souvent le même sujet dans les deux domaines. En 1920, elle rencontre Maurice Bastide du Lude, dessinateur et graveur à Jouy-le-Potier (Loiret), qui l’aide à imprimer ses premières épreuves à l’eau-forte. Elle confirmera son savoir-faire en expérimentant diverses autres techniques (pointe-sèche, vernis mou, aquatinte) et réalisera plus de 400 plaques d’impression.Gustave Noël : eau-forte (1930).
En gravure comme en peinture, Jeanne Champillou affectionne les scènes et portraits intimistes. De même que par la suite pour une part de ses céramiques, elle dépeint essentiellement le monde rural dont elle est issue : "Ma vie et mon art ont été en rapport étroit avec la terre, parce que je suis d’une vieille souche paysanne (…)". Elle s’intéresse particulièrement aux plus humbles : artisans, "petits métiers", scènes de ferme, de moisson, de vendange, de foire et de marché. Elle complète ses observations en sillonnant les rues d’Orléans et les routes du Loiret, dessinant, d’un trait réaliste et précis, des tableaux de la vie quotidienne dans le souci constant de traduire fidèlement la nature profonde de ses modèles.
Céramique (1947-1978)
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’idée germe dans son esprit de faire revivre l’imagerie populaire orléanaise - qui avait acquis sa renommée au 18e siècle - dans la technique ancestrale que constitue la céramique. Le 4 avril 1944 elle écrit dans son Journal : "que sont devenus les beaux métiers d'autrefois, les belles assiettes rustiques pleines de saveur dans le dessin et la couleur". Plus tard elle évoque des "projets de faïence d'après les dictons et les chansons populaires". A cette époque elle envisage uniquement la création de décors qu’elle pourrait vendre. A la fin de l’année 1946, devenir céramiste et concevoir ses propres pièces s’imposent à elle comme une certitude dont ne sont pas exemptes les raisons matérielles : "ne vendant ni peintures ni gravures de façon à en vivre, je pensais faire un métier à la maison pour continuer et finir ma vie". A presque 50 ans, la céramique a pour elle un parfum de liberté.
En s’orientant vers ce nouveau domaine, Jeanne Champillou s’inscrit dans le contexte de regain d’intérêt des années 1930-1940 pour les centres de poterie traditionnelle, parmi lesquels Biot, Vallauris (Alpes-Maritimes), Dieulefit (Drôme), La Borne (Cher) où s’établissent des céramistes reconnus (Jean et Jacqueline Lerat, André Rozay, Paul Beyer). Ceux-ci remettent en usage des techniques oubliées et renouvellent formes et décors, contribuant ainsi à élever la poterie au rang de céramique d’art. Parallèlement, les artistes, peintres et sculpteurs, aspirent au sortir de la Guerre à élargir leur production en expérimentant d’autres domaines d’expression. Les arts du feu, pour leur part, offrent de larges possibilités par la diversité des composants et par la cuisson des émaux qui rend imprévisible le résultat final et modifie sans cesse la palette des couleurs. L’impulsion est donnée par Pablo Picasso qui réalise en 1946 ses premiers essais à Vallauris, où il s’installe ensuite - jusqu’en 1955 - afin d’approfondir ce nouveau terrain de recherche. Ses créations, affranchies des codes académiques propres à la céramique, rencontrent un succès immédiat et il va entraîner à sa suite le monde artistique (Marc Chagall, Fernand Léger, Georges Braque,…).
La rencontre opportune d’Aimé Henry va permettre à Jeanne Champillou de concrétiser ses projets. Henry, peintre à l’origine et formé à la technique du vitrail, est également familier de la céramique à laquelle il désire désormais se consacrer. C’est une chance pour Jeanne Champillou car elle pourra bénéficier de son expérience. Ils s’associent donc et œuvreront ensemble pendant huit ans.
En février 1947, ils se mettent en quête du matériel technique indispensable pour débuter (terre, émaux, outils, tour de potier) qu’ils achètent dans le fonds d’une faïencerie - établie dans le quartier Saint-Marceau à Orléans - en cessation d’activité. L’atelier nommé Clos de Joÿe d’après un ancien lieu-dit voisin est aménagé dans une dépendance de la maison familiale du Faubourg-Bannier. Les deux artistes composent ensuite le monogramme qu’ils apposeront sur leurs céramiques. Identifié comme "Notre-Dame des Aydes", il fait référence au quartier et représente une tête de Vierge couverte d’un voile, surmontant deux Z entrelacés, l’un majuscule et l’autre minuscule.
La première cuisson a lieu le 4 mai 1947. Les deux artistes s’accordent bien et se partagent les tâches sans rivalité car leur démarche est analogue. Dans un atelier de céramique l’entente est d’ailleurs primordiale en raison de l’ampleur et de la dureté du travail physiquement très exigeant - rentrée et malaxage de la terre, fragilité des matériaux qui oblige parfois à refaire la même pièce, surveillance des cuissons généralement nocturnes, difficultés de la pose... – A la fin de l’année 1947, le Clos de Joÿe bénéficie de l’arrivée de Jeanne Azambourg, ancienne élève de musique de Jeanne Champillou, qui entre définitivement à l’atelier. Quelques autres fidèles gravitent autour, aidant essentiellement à la pose, comme Gilles Dubreuil dont le visage servira de modèle à plusieurs reprises.
Pourtant, les styles respectifs des deux associés diffèrent nettement. Jeanne Champillou puise son inspiration dans le réalisme mais ne se rattache à aucune École, Aimé Henry est issu du courant Art déco. Les bas-reliefs réalisés pour l’ornementation intérieure de la clinique du Bon-Secours à Orléans, bien qu’ils soient un travail d’atelier, illustrent leurs choix personnels. Les premiers mois sont financièrement difficiles. Il leur faut accepter des commandes qui les éloignent de la création artistique, ainsi celle, en 1948, de la vinaigrerie Dessaux qui concerne l’exécution de plusieurs milliers de moutardiers. Deux ans plus tard, elle est suivie d’une seconde commande similaire dont les derniers exemplaires seront livrés en 1955. La tâche est immense et fastidieuse car l’ensemble de la chaîne de fabrication (préparation de la terre, coulage de la barbotine dans les moules, émaillage et cuisson) est assuré par les trois membres de l’atelier, secondés ponctuellement par des élèves de l’École des beaux-arts.
Moutardiers du modèle dit de 1789 (1948-1951).Sa vie durant, Jeanne Champillou regrettera de ne pouvoir donner la pleine mesure de son talent du fait des contraintes de commande, et de devoir sacrifier la création aux nécessités matérielles : "Depuis l’âge de dix-neuf ans que je travaille pour gagner ma vie, j’ai été crucifiée avec l’argent : on va de dévaluation en dévaluation. C’est la lutte perpétuelle. Comment voulez-vous dans une telle ambiance faire de l’art ? ".
Déjà réputée à Orléans pour ses gravures et ses peintures, elle le devient également pour ses qualités de céramiste. En novembre 1947, la première exposition du Clos de Joÿe est organisée à la bibliothèque municipale. La critique est élogieuse et salue la démarche de "rénovation de la céramique d’art régionale" entreprise par les deux artistes. Forts de cette reconnaissance, ils proposent la mise en place d’un cours de céramique à l’École des beaux-arts, qui est ouvert en 1949, et dont Jeanne Champillou sera le professeur jusqu’au milieu des années 1960.
La production extrêmement variée et abondante du Clos de Joÿe comprend des pièces à usage domestique, parmi lesquelles des services à dessert illustrés de maximes, de chansons populaires ou de figurations de vieux métiers ; des pièces décoratives : assiettes et plats, carreaux, figurines aux thèmes généralement liés aux activités agricoles, et des pièces religieuses : plaques de dévotion, plats de mariage, statuettes de saints. Les œuvres sont façonnées à la demande ou choisies dans le magasin de vente que Jeanne Champillou a installé en 1953 dans le salon de sa maison.
Céramiques architecturales
Au début des années 1950, les activités de l’atelier s’élargissent au décor d’architecture. Les dommages causés aux édifices par la guerre ont été en effet considérables, en particulier dans les communes situées sur la Loire. Dans le cadre de la Reconstruction urbaine de l’après-guerre, les architectes chargés de rebâtir les villes détruites tels que Paul Gélis, André Bezançon ou Paul Winter, commandent à Jeanne Champillou et Aimé Henry, séduits par ces projets innovants, des décors destinés à des bâtiments publics civils et religieux et des bâtiments privés.
Caravelle : bas-relief ornant la façade d'un immeuble à Rueil-Malmaison (années 1960).
Leur champ d’intervention couvrira essentiellement le Loiret et le département du Nord. Il s’étendra dans une moindre mesure aux autres départements de la région Centre-Val de Loire et à l’Ile-de-France. Les premières réalisations datent de 1952 : panneaux muraux pour l’école maternelle d’Olivet et la salle du conseil municipal de la mairie de Saint-Jean-de-Braye.
L’année 1953 s’avère féconde avec l’ornementation des escaliers du grand magasin Les Nouvelles Galeries à Orléans, puis celle de la salle de jeux de l’école maternelle de Lamotte-Beuvron, édifiée sous la conduite de Robert Coursimault, ami de Jeanne Champillou. L’architecte avait semble-t-il envisagé de futures collaborations qui resteront sans suite : il est tué dans un accident de voiture en fin d’année. Les commandes s’étendent ensuite aux édifices religieux récemment construits dans le Loiret : série de statues pour l’église de Gien sous la direction de Paul Gélis, et aménagement intérieur de la chapelle de la Madeleine fondée à Saint-Jean-de-la-Ruelle. Dans les années suivantes marquées par le départ d’Aimé Henry en 1955, la production se diversifie encore : mosaïque dans l’église Notre-Dame de Consolation, bas-reliefs pour la clinique Notre-Dame du Bon-Secours, et statue de Vierge à l’Enfant dans la chapelle Notre-Dame des Blossières, à Orléans.
Jeanne d'Arc en prière : bas-relief dans la chapelle Notre-Dame des Miracles à Orléans (1972).
Dans le domaine civil, l’atelier réalise un trumeau de cheminée pour le grand-hôtel du Beauvoir à Olivet, des plaques décoratives pour l’encadrement du portail d’entrée de l’école de garçons de Châteauneuf-sur-Loire, et le décor d’un ensemble d’immeubles d’habitation à Rueil-Malmaison. De nombreux projets pourtant engagés n’aboutissent pas comme celui, prometteur, de la ville d’Orléans de doter ses voies anciennes d’une plaque de rue historiée. Deux d’entre elles seulement sont achevées : la Rue du puits Saint-Christophe mise en place mais dérobée en 2005, et le prototype de la Rue de la poterne. On constate qu’à partir de la fin des années 1950, l’atelier reçoit principalement des commandes d’œuvres religieuses : chemins de croix, figurations de la Vierge, du Christ ressuscité et du Christ "Bon Pasteur", et de saints dont plusieurs Jeanne d’Arc, en particulier celles de la chapelle Notre-Dame des Miracles à Orléans, dont elle constitue la figure emblématique.
Mais le fait notable de ces années est la sollicitation répétée de l’atelier pour la décoration d’églises du département du Nord. La première commande, en 1959, émane de Paul Gélis pour un chemin de croix à poser dans l’église de Bergues. L’architecte, chargé de mission pour le département, a en effet commencé la restructuration de l’édifice et la reconstruction du beffroi de la commune. L’année suivante l’atelier est appelé à Lederzeele à nouveau pour un chemin de croix, différent du précédent par la structure, mais analogue quant au traitement iconographique. En 1962 il intervient à Armbouts-Cappel pour une Vierge de Gloire et à Téteghem pour un bas-relief, en 1965 à Comines pour une Vierge du Sacré-Cœur très proche de celle d’Armbouts-Cappel, et en 1966 à l’église Saint-Jean-Baptiste de Dunkerque pour une Vierge de la Visitation.
En parallèle, l’atelier travaille pour des commanditaires privés soucieux d’embellir leur commerce ou leur demeure. Les projets concernent des enseignes de chaînes hôtelières comme celles des Logis de France, des écussons de façade pour des hôtels de voyageurs, à Beaugency par exemple, des enseignes de boutique, comme celle de l’atelier de reliure Bornet à Orléans. Sont réalisés également des décors de magasin parmi lesquels deux retiennent l’attention : un grand panneau mural de belle facture (toujours en place), sur le Cycle du pain, pour une boulangerie de Louveciennes, et un autre pour un magasin d’Orléans disparu, figurant une étonnante allégorie de la musique électronique.
Spécificités techniques de l’atelier
Les céramistes du Clos de Joÿe ont travaillé une large variété de terres cuites : faïences, porcelaines, grès cérame ainsi que des matériaux naturels tels la lave de Volvic. De même ils ont expérimenté les techniques les plus diverses, témoignant ainsi de leur vitalité. La majorité des œuvres est façonnée dans une terre, ingélive et de couleur rosée après la cuisson, élaborée par l'atelier. Elle est fabriquée le plus souvent, pour des raisons pratiques de proximité, à partir d’un mélange constitué d’1/6e d’argile de la carrière de la Tête Noire à Saran exploitée par la briqueterie de la Montjoie, ou d’argile de la tuilerie de la Bretèche (toujours en activité) implantée à Ligny-le-Ribault, et de 5/6e de terres blanches industrielles achetées dans une entreprise de Vierzon. Les émaux sont acquis dans le commerce, car leur fabrication aurait exigé un travail important et des compétences en chimie. Par contre, l’atelier prépare ses propres mélanges de couleurs selon les besoins des créations ; en 1978 la palette comporte plusieurs centaines de nuances.
Jeux d'enfants : carrelage mural de l'école maternelle du Poutyl à Olivet (1952).
Influences et sources iconographiques
Témoin de la vie paysanne et plus généralement de la vie quotidienne de ses contemporains, Jeanne Champillou se situe dans la tradition française des représentations populaires. Notablement inspirée par l’imagerie orléanaise du 18e siècle à laquelle elle emprunte parfois ses modèles, elle l’est aussi par la peinture de genre qu’elle découvre dans les livres d’art (ses faibles revenus ne lui ayant jamais permis de voyager) : particulièrement celle du flamand Pieter Brueghel le Vieux et celle des frères Le Nain. Dans leur prolongement et plus proche d’elle, elle est imprégnée de la peinture réaliste de la seconde moitié du 19e siècle, surtout celle de Jean-François Millet qui fut l’interprète idéal de la France rurale de son époque.
Dans la facture des personnages : modelé des corps travaillés en rondeur, finesse des visages, éclat des émaux et richesse de la polychromie, se perçoit la filiation avec le "style doux" des Della Robbia, auxquels un intérêt nouveau est porté en France à partir du milieu du 19e siècle.
Rayonnement de l’atelier
Très tôt Jeanne Champillou se rapproche des milieux artistiques locaux : dès sa création, en décembre 1922, elle adhère à la Société des artistes orléanais dont elle deviendra quelques années plus tard la vice-présidente. De 1923 à 1940 elle est membre associé de la Société Nationale des Beaux-Arts, qui organisera d’ailleurs une rétrospective un an après sa mort. A l’occasion des Salons, elle croise Yoland Cazenove (1914-2009), autre artiste céramiste local, qui a choisi une voie différente en s’orientant vers la recherche pure. Il travaille le grès, mélange les matières en quête de nouveaux matériaux et façonne des pièces décoratives uniques. Leurs relations sont amicales car ainsi que le précise Jeanne Azambourg : "ils étaient jumeaux au niveau de la pensée, du raisonnement et de la philosophie de la création". Jeanne Champillou ouvre régulièrement les portes de l’atelier, participe à des expositions personnelles et collectives dans les Salons régionaux et quelques galeries parisiennes (Paul Cézanne, Fossat) présentant simultanément céramiques, gravures et peintures, ce qui lui confère une certaine notoriété. Outre les céramiques architecturales du domaine public, ses œuvres sont majoritairement conservées dans des collections privées mais aussi dans quelques musées tels que le musée des beaux-arts de Chartres, le musée historique et archéologique de l’Orléanais à Orléans, le musée Daniel-Vannier à Beaugency, le musée de la Marine de Loire à Châteauneuf-sur-Loire et le musée Jeanne-Devos à Wormhout (Nord).
En 1977, la ville d’Orléans organise une grande rétrospective de son œuvre, comme un ultime hommage, dans l’ancienne collégiale Saint-Pierre-le-Puellier récemment transformée en lieu d’exposition.