Un site défensif
Restaurations, transformations et destructions, ont altéré le château dont la totalité des corps de logis étaient encore conservés dans le premier tiers du XVIIe siècle, lorsque Louis XIII (1610-1643) fit ajouter, vers 1620, une demi-lune au-delà de la porte et du fossé des Lions, demi-lune qui vint remplacer un ouvrage avancé antérieur. La tour Garçonnet perdit son couronnement et sa cage d'escalier carrée fut transformée pour accueillir une rampe à pas d'âne, les voûtes des tours cavalières furent quant à elles rompues sur quelques travées pour condamner ces entrées du château. Quant au fossé du donjon, il y a tout lieu de croire qu'il fut comblé par les décombres du logis du Fossé alors abattu.
Vue de la ville d'Amboise et du château de Chanteloup, 1762, par Lenfant.Le caractère naturellement défensif de la place, un éperon rocheux barré de deux fossés, est aux origines du développement du site du château. La pointe occidentale constituait le donjon, à savoir le lieu d'habitat et de repli. La défense y était assurée par quatre tours circulaires placées aux angles du trapèze et par deux tours carrées assurant le flanquement du fossé du donjon et, pour l'une d'entre elles, côté ville, le contrôle de l'accès au promontoire ; enfin, par la tour pentagonale flanquant la porte orientale des champs qui devint à la fin du XVe siècle la porte des Lions. De ces sept tours, quatre ont disparu, les autres sont extrêmement transformées, mais il semble pourtant qu'elles soient toutes contemporaines des XIIe-XIIIe siècles.
L'église collégiale et paroissiale Saint-Florentin fut édifiée dans la basse-cour autour de 1030. Par la suite, furent ajoutées plusieurs chapelles, un cloître et des logis canoniaux plus ou moins attenants dont on ne connaît presque rien, mais qui constituèrent néanmoins les éléments conditionnant les développements ultérieurs du château.
Le caractère fortifié du château fut accentué à partir du règne de Louis XI (1461-1483) mais il développa aussi son caractère résidentiel avec de nouveaux aménagements réalisés pour accueillir la reine Charlotte de Savoie (1461-1483) et ses enfants. Louis XI repensa et renforça les accès par la construction de la tour Garçonnet (1466), la porte des Lions et par des ponts-levis dans la rampe d'accès méridionale. Conçue comme une tour défensive, occupée à l'origine sur la moitié de sa hauteur par une vis piétonne de plan carrée, éclairée de fentes de jour et équipée d'archères-canonnières orientées face aux ponts de la Loire et adaptées à l'emploi d'armes à feu semi-portatives et épaulées, la tour Garçonnet possédait trois niveaux supérieurs dont les deux derniers étaient couronnés d'un chemin de ronde.
Le château de Louis XI
Les travaux à vocation résidentielle ont probablement eu une ampleur que la disparition de nombreux corps de logis ne nous permet pas d'appréhender clairement ; à défaut, les mentions relevées dans les différents fonds d'archives et l'analyse critique des sources iconographiques proposent la restitution d'un ensemble castral cohérent. Autour de la cour du donjon s'élevaient, au Sud, dans le logis royal, le logis du roi (premier étage) superposé à celui de la reine (rez-de-chaussée), à l'Ouest, un corps de bâtiment essentiellement dévolus aux cuisines et offices, au Nord, face à la Loire, une terrasse d'agrément prenant place au-dessus d'une galerie fermée, enfin à l'Est, une série de logis et de cuisines des communs, difficiles à dater mais qui auraient pu être hérités du château antérieur.
La chronologie des chantiers de Louis XI reste toutefois complexe à préciser. On sait que dès les premières années de son règne (1463-1464), il fit détruire des bâtiments anciens, chargeant les édiles d'évacuer les déblais tombant dans la ville. Les contraintes exercées par la topographie du site et les anciens éléments architecturaux conservés déterminèrent la surface disponible (2 500 m²) . Les comptabilités urbaines livrent les lieux de la ville où s'accumulent les déblais et instruisent sur la localisation des travaux. De plus, dans sa correspondance, Louis XI adresse des directives à ses conseillers sur la tenue du chantier qui, confrontées aux sommes allouées pour celui-ci précisent l'identification des bâtiments concernés.
Ainsi, conjointement à la construction de la tour Garçonnet (1466), le logis sud fut édifié. Dans son état primitif, il était encore de dimensions modestes (28 x 10 m ext.) : au rez-de-chaussée il accueillait le logis de la reine et au premier étage celui du roi où, à côté de la chambre, la grande chambre servait aussi probablement de salle. En 1474, débuta une seconde campagne : Louis XI entreprit la construction de la chapelle du Saint-Sépulcre assise dans la structure qui servit par la suite de soubassement à la chapelle Saint-Hubert de Charles VIII, et commanda l'extension du logis Sud, de manière à disposer d'une véritable salle, séparée de sa grande chambre. Quant aux travaux de la porte des Lions, ils ne peuvent pas vraiment être replacés chronologiquement : l'extrême sobriété des consoles de mâchicoulis s'explique par la présence d'un tambour - dont il ne reste plus que les arrachements -, comparable à celui de la porte vers la ville à Dijon, qui masquait la porte et ses ponts-levis à flèches.
Le château de Charles VIII : à la recherche d'un mode de vie
L'ensemble de ces édifices, parfaitement intégrés à la trame défensive, conditionna fortement les choix constructifs ultérieurs. Il ne fut toutefois jamais envisagé d'affaiblir le caractère et le parti défensif de la place dont la première fonction était d'assurer la sûreté du dauphin.
La présence de la Loire, la forêt giboyeuse et son attachement pour le lieu décidèrent Charles VIII à faire d'Amboise sa résidence principale et le château conserva ce statut, sous François Ier (1515-1547) jusqu'à son départ pour la région parisienne vers 1525.
En 1489, la mention de déblais (6 480 tombereaux en deux ans) permet d'estimer l'ampleur des projets : il entreprit dans la seconde cour des travaux de terrassement dont l'emprise se lit encore parfaitement aujourd'hui dans les mouvements de terrain du promontoire. Le nombre de tombereaux chargés correspond à quelques 6 000 à 6 500 m3 de terre déblayée, ce qui équivaut à une surface de 6 000 m² décaissés sur 1 m de profondeur en moyenne, que nous situons entre l'emplacement de l'ancien fossé du donjon et la cassure de terrain qui traverse le promontoire au niveau du nouveau logis de Charles VIII sur les jardins. Il y a donc tout lieu de croire que, dès 1489-1491, Charles VIII envisageait de construire le logis des Sept Vertus et le bâtiment de la grande salle dans la seconde cour. L'implantation des jardins demanda des travaux de terrassement encore plus importants - entre 6 000 et 7 000 m3 - et, nécessita pour soutenir le terrain surplombant le décaissement, la construction d'un mur de soutènement appelé couramment « le mur du logis canonial ». La tour des Minimes fut pensée comme une nouvelle entrée au château, dominant les logis et débouchant sur les jardins. Enfin, les motivations qui présidèrent aux projets du nouveau logis de Charles VIII sur les jardins puis de la tour Heurtault sont, quant à elles, liées aux jardins.
Vue du parc du château, à l'arrière-plan, la chapelle Saint-Hubert.Durant cette période, Charles VIII ajouta au logis de Louis XI du donjon la chapelle Saint-Hubert, édifiée à l'aplomb de la chapelle du Saint-Sépulcre. Si la date exacte du début des travaux demeure inconnue, le chantier restait actif en 1495-1496. En 1498, à sa mort, étaient édifiés dans la seconde cour : le logis des Sept Vertus, le bâtiment de la grande salle, le jardin, une grande partie des tours cavalières et les deux premiers niveaux du nouveau logis de Charles VIII sur les jardins.
Le bâtiment de la grande salle, dont le premier escalier d'honneur se trouvait côté Loire, ne fut desservi par l'escalier « persé » que lors de l'édification du nouveau logis de Charles VIII sur les jardins. Restituer l'histoire de l'évolution du projet demeure cependant complexe. Charles VIII avait-il l'intention de déménager les logis royaux dans la seconde cour dès le début des travaux, et auquel cas pourquoi faire édifier la chapelle Saint-Hubert, ou avait-il, au contraire, prévu de n'y faire édifier que les édifices de réception.
La naissance en octobre 1492, du dauphin Charles-Orland eut-elle une quelconque influence sur les projets ? En conservant le donjon et en ne faisant édifier dans la seconde cour que les édifices à vocation de réception, Charles VIII renforçait en effet le dispositif sécuritaire. Contrairement à Louis XI qui avait interdit l'accès au château à toute personne étrangère à la famille royale, Charles VIII allait, au sein même du château, délimiter des espaces privatifs et d'autres ouverts à la cour. Notre restitution de la distribution met en évidence la double circulation qui avait été pensée pour permettre de gagner depuis le donjon les édifices de la seconde cour. De nouvelles galeries furent sans doute construites le long du logis du Fossé. Jouant incidemment le rôle de balcon pour suivre les parties de jeu de paume, elles étaient en outre défendues par le fidèle garde de Louis XI, Hans Haquelebac, rendu célèbre par les récits de Philippe de Commynes (1447-1511) .
Ainsi, le logis des Sept Vertus, avec ses logis jumeaux aux dispositions atypiques, dépourvus de chapelle et de retraits, était-il sans doute le logis d'apparat du couple royal, celui où ils apparaissaient en public, où ils suivaient les spectacles donnés dans la cour mais aussi, celui où logeaient les hôtes de marque tel que Pierre de Beaujeu, duc de Bourbon, en janvier 1498.
Le bâtiment de la grande salle accueillant au rez-de-chaussée un espace dévolu aux gardes royales puis, côté Loire, un promenoir introduisant la grande vis, est occupé au premier étage par la grande salle du château ; une salle qui, dotée de deux vaisseaux de voûtes reposant sur une file de colonnes centrales, affiche une filiation symbolique très forte avec la salle des états de Blois ou celle du palais de la Cité de Philippe Le Bel. Les aménagements et la distribution de ces logis révèlent la constante exposition de la personne du roi dans sa vie de cour qu'elle soit d'obligation ou d'agrément. Dans les galeries, le couple royal est en représentation, qu'il suive les parties de jeu de paume ou contemple le paysage de la Loire. Côté Loire et côté cour, des balcons longeaient les façades du logis qui, à l'instar de la galerie du logis des Sept Vertus, servaient pour les apparitions en public. Ainsi, la véritable distinction entre vie publique et vie privée ne concernait pas tant Charles VIII que la personne du dauphin. Si la vie du roi était toujours en représentation, la vie privée du château se résumait à la présence du dauphin dans le donjon qui assurait sa protection.
Vue cavalière du château, 1579, par Androuet du Cerceau. L'année 1495 marqua un tournant décisif dans l'histoire du chantier. Charles VIII rentra d'Italie le 23 février 1496, et déjà étaient en travaux la tour des Minimes ainsi que le nouveau logis de Charles VIII construit face aux jardins. La morphologie des jardins montre leur filiation avec les horti conclusi médiévaux de tradition française - filiation soulignée par le décor de faux-créneaux animant le sommet du mur de soutènement du jardin - mais les influences italiennes s'observent ponctuellement à travers, la terrasse haute, la fontaine et l'orangerie comme si le grand jardinier transalpin, Pacello da Mercogliano, avait ajouté, à son arrivée à Amboise en 1497, quelques éléments italiens dans un jardin dont la conception générale était déjà fixée. On sait aussi qu'à proximité immédiate des jardins, se trouvaient le cabinet des oiseaux et le logis dit canonial qui fut, depuis Charles VIII jusqu'au départ définitif de la cour en 1560, le logis de l'Armurerie - sans doute achevé par François Ier -, sorte de salle d'exposition dans laquelle on admirait face aux jardins et à la Loire de rares pièces de collection. À Fontainebleau (vers 1535-1538), le pavillon des Armes se tient dans l'angle nord-ouest du jardin du roi ; bien que très différent dans son apparence, il arbore une position topographique analogue : « À cheval entre le jardin du roi et un espace encore occupé par les bâtiments de l'abbaye ». L'armurerie, à Amboise comme à Fontainebleau, fait donc office de fabrique de jardin.
Vue de la tour des Minimes depuis l'Ile d'Or.La tour des Minimes, les jardins et le nouveau logis de Charles VIII sur les jardins formaient un ensemble homogène pour lequel il est très délicat d'évaluer dans quelle mesure le projet primitif - où le nouveau logis de Charles VIII sur les jardins n'était pas prévu - fut modifié au retour d'Italie. Il semble bien que ce fut pour installer les logis royaux face aux jardins que Charles VIII choisit cet endroit, laissant le donjon à l'héritier de la couronne à venir. Charles-Orland meurt le 16 décembre 1495, mais Charles VIII n'est alors âgé que de 24 ans.
Le projet était bien plus ambitieux que le simple corps de logis que nous voyons aujourd'hui. Notre restitution s'appuie sur quelques vestiges lisibles aux pignons du nouveau logis, deux portes donnant dans le vide au sommet des tourelles d'escalier, les piles du portique des Quatre Travées dimensionnées pour soutenir une élévation ainsi que sur les sources iconographiques et textuelles. Le logis devait adopter des dispositions classiques où le logis de Charles VIII surmontait celui d'Anne de Bretagne. Chaque logis se composait d'une enfilade de trois pièces : grande chambre - ou salle -, chambre et garde-robe, par contre, les espaces annexes qui ont disparu différaient l'un de l'autre. Côté jardin, le projet ne fut pas mené à bien. Charles VIII projetait de faire construire une galerie communiquant avec sa grande chambre, au-dessus du portique des Quatre Travées. La disposition est typique : Jean Guillaume a exposé le caractère privatif des galeries, généralement accessibles depuis la chambre. Monique Chatenet a complété le tableau en multipliant les exemples qui démontrent qu'au XVIe siècle la galerie est un espace que le roi peut ouvrir à ses invités mais sur lequel il garde toute autorité. Comme au logis royal de Fontainebleau (1531-1535), cela aurait bien été le cas à Amboise, car le visiteur arrivant par l'« escalier persé » devait attendre que le roi ouvre l'une des portes - celle de la tourelle nord pour passer sur la petite passerelle ou celle ménagée dans le mur pignon nord - pour entrer dans la galerie. Par ailleurs, cette pièce aurait éventuellement pu être en relation directe avec un édifice couronnant la tour des Minimes qui ne fut jamais construit. Peut-être par un système de passerelles, la tourelle hexagonale du bâtiment de Ia grande salle, tournée vers la Loire, aurait-elle également communiquée avec le bâtiment prévu au sommet de la tour des Minimes.
Côté cour, la grande vis (« escalier persé ») permettait désormais d'accéder directement à la grande salle depuis la cour. Il n'était donc plus nécessaire de passer côté Loire et l'on pénétrait dans celle-ci par une porte ouvrant depuis le balcon suspendu. Ce changement ne demanda toutefois que peu d'aménagement puisque la salle, en fin de construction en 1495, avait pu être équipée d'une seconde cheminée placée sur le mur pignon oriental, modifiant l'emplacement du « haut-bout ». Par ailleurs, l'« escalier persé » desservait aussi les grandes chambres du nouveau logis de Charles VIII sur les jardins. L'accès privé aux logis se faisait quant à lui par la tourelle nord, côté jardin, mais aussi par une vis installée dans une tourelle sobre accolée et centrée sur la façade sur cour. Cette vis communiquait de surcroît avec la chapelle assise sur un porche - qui jusqu'à maintenant était identifiée, à tort, comme un appendice relevant des aménagements de Catherine de Médicis. Soulignons que ce type de chapelle sous laquelle était aménagé un passage se répandit autour des années 1500 dans la région parisienne. L'étude de l'hôtel Legendre à Paris, où une chapelle sur porche existait également, propose plusieurs exemples telle que l'abside de la chapelle du château de Nantouillet (Seine-et-Marne), celle de l'hôtel de Cluny, mais aussi à Beauvais (Oise), la chapelle de la maison canoniale de la rue de l'abbé-Gellée. Xavier Pagazani a relevé encore les exemples de la chapelle de l'hôtel du Bourgtheroulde à Rouen (Seine-Maritime, disparue, 1499-1506), et de celle de l'hôtel des Généraux des Finances à Rouen (Seine-Maritime, disparue, 1508-1511), de celle du château de Martainville sur passage voûté (Calvados, vers 1500-1505), du château de Fontaine-le-Bourg (Seine-Maritme, disparue, vers 1512), du château de Tilly (Eure, disparue, vers 1530), du château de Gaillon qui avait été construite pour donner « l'impression saisissante de ne reposer que sur de fins piliers ». Nous ajoutons à cette liste la chapelle du logis Saint-Ouen de Rouen édifiée pour Antoine Bohier pour laquelle, au-delà de l'espace laissé libre sous la chapelle, la similitude formelle avec Amboise est très frappante. La chapelle sur porche d'Amboise pourrait donc avoir été la première relevant de ce modèle architectural.
Parallèlement aux aménagements résidentiels, Charles VIII ne renforça que faiblement le caractère défensif du lieu. La canonnière à la française encore conservée dans l'escarpe de la porte des Lions constitue un élément de datation essentiel que l'on peut notamment rapprocher des ouvertures de tir du château du Verger (Seiches-sur-le-Loir, Maine-et-Loire) édifié par le maréchal de Gié autour de 1495-1500. Cette canonnière battant le fossé des Lions est directement à mettre en rapport avec les coups de sabre visibles dans la contrescarpe de la demi-lune du XVIIe siècle qui indiquent que celle-ci remploya la contrescarpe d'un ouvrage avancé antérieur.
Les canonnières basses des tours cavalières étaient adaptées à l'emploi d'armes de gros calibre. Les canonnières perçant l'allège des baies des deux tours cavalières furent conçues pour des arquebuses mais leur efficacité étant sans doute limitée, elles jouaient un rôle avant tout dissuasif. Finalement, ces tours imposantes et massives constituaient de parfaits trompe-l'oeil d'ouvrages militaires. Pour François Gébelin : « Au point de vue des recherches de confort, il suffit de citer les fameuses vis sans marches des tours Hurtault et des Minimes, dont la rampe peut être gravie à cheval ».
Le 7 avril 1498, à la mort de Charles VIII, les travaux étaient loin d'être achevés ; entre 1499 et 1505, Louis XII (1498-1515), limita ses interventions à mettre hors d'eau les bâtiments. Ainsi, le nouveau logis de Charles VIII sur les jardins, le jardin et la tour Heurtault conservent, dans leurs maçonneries, les traces de cette rupture de chantier et, dans leur ornement, l'apparition des formes renaissantes.
En 1516, François Ier (1515-1547) fit ajouter au nouveau logis de Charles VIII sur les jardins un étage, suréleva en même temps les tourelles d'accès et fit percer dans la tourelle circulaire nord une porte tournée vers la terrasse de la tour des Minimes. Le projet ne fut toutefois pas mené à terme et ni le couronnement de la tour des Minimes ni la galerie du portique des Quatre Travées ne furent construits. Le plan de François Ier manifeste cependant une innovation en matière de distribution car le logis du roi se trouvaient sous ceux de la reine ; autrement dit, il occupait le logis primitif d'Anne de Bretagne, ceux qui sont de plain-pied avec le jardin. Cette distribution où le logis de la reine se trouve au-dessus de ceux du roi fut par la suite adoptée au vieux Louvre pour Éléonore d'Autriche.
Si l'on peut considérer que les travaux de Louis XII et François Ier se déroulèrent dans la continuité de ceux de Charles VIII, il en va tout autrement des travaux d'Henri II et Catherine de Médicis qui ne semblent pas avoir été sensibles à la politique d'embellissement du site menée jusque-là. Le donjon que l'on conservait toujours pour les mêmes raisons de sécurité, mais aussi pour disposer, en outre, de capacité de logement importante, ne connut apparemment pas de modifications majeures. On se contenta d'aménagements secondaires, Jacques Androuet du Cerceau nous rapportant la réalisation de « cloisonnages ». Catherine de Médicis fit installer sa chambre dans la tour-porche - que nous avons définie comme chapelle primitive du nouveau logis de Charles VIII sur les jardins - et convertit la vis privative mitoyenne en cabinet attenant à sa chambre. Les autres pièces de l'appartement furent occupées par une antichambre, une salle et des chambres pour les filles de la reine. En outre, les appartements du roi et de la reine n'occupaient plus le même bâtiment ; le logis d'Henri II fut construit en empiétant sur les jardins. Reliés par un passage couvert à ceux de la reine, ces appartements annexèrent une partie du portique des Quatre Travées pour installer la salle des gardes du roi et se prolongèrent jusqu'au-dessus de la tour des Minimes où fut édifiée la grande salle. La grande salle primitive, sise dans le bâtiment sur Loire, se trouva quant à elle convertie en salle de bal.
Servir le projet du prince
L'étude prosopographique a permis de dénombrer 2 800 personnes dont environ 2 000 ouvriers à Amboise sur lesquels seulement 174 apparaissent avant 1495 dans les comptabilités de la ville, puis sur le chantier du château de 1495-1496. Mais parmi ces ouvriers seuls 21 patronymes étaient portés par des Amboisiens de souche, ce qui conduit à penser que la présence de la main-d'oeuvre à Amboise était due aux chantiers royaux initiés par Louis XI. Parmi ces ouvriers, 7 maçons, ayant fait leur formation à Amboise, comptèrent parmi les plus grands maîtres-maçons de la fin du Moyen Âge : Colin Biart, Guillaume Senault, Louis Amangeart, Jacques Sourdeau, Pierre Trinqueau, Bastien François et Pierre Gadier. Aussi, y a-t-il tout lieu de penser qu'au-delà de leur aptitude personnelle c'est la dynamique des chantiers royaux qui révéla ces talents. Sans doute avaient-ils eux-mêmes été formés auprès de grands maîtres-maçons au service de Louis XI.
La tour Heurtault, vue de face.À propos des tours cavalières, il reste artificiel de distinguer les avancées techniques imposées par le délai de la qualité des ouvriers oeuvrant à ce modèle architectural inédit, élevé en 18 mois environ. La tour des Minimes est bien documentée par le compte de construction de 1495-1496. La gestion du chantier fut exceptionnelle : l'approvisionnement continu en matériaux, l'administration de 700 ouvriers, l'intendance du chantier que supervisèrent trois maîtres-maçons, et sans doute un quatrième assimilé comme tel, explique la qualité particulière de l'ouvrage. Soulignons ici que Raymond de Dezest s'investit considérablement dans le chantier et que les maîtres-maçons restèrent à Amboise en permanence et non épisodiquement comme sur de grands chantiers tels ceux de la cathédrale de Sens ou du portail nord de la cathédrale de Beauvais (Oise) dirigés par Martin Chambiges et de la cathédrale de Troyes (Aube) ; mais aussi sur ceux du pont Notre-Dame à Paris (1500) et de la tour nord de la cathédrale archiépiscopale de Bourges (1508) conduits par Colin Biart et Guillaume Senault qui n'y passaient que quelques jours par an. Tout porte donc à considérer le chantier du château d'Amboise, ou plutôt le chantier d'Amboise, car la « ville-château » était devenue une « ville-chantier », comme un des plus grands chantiers de la fin du XVe siècle.
Outre les trois maîtres-maçons déjà nommés, travaillaient au chantier du château en 1495-1496 : Jacques Sourdeau qui fut chargé du chantier de Blois (1516-1518) et Pierre Trinqueau qui dirigea les travaux de Chambord. Selon Étienne Hamon, Colin Biart travaillait en coordination avec Guillaume Senault mais bénéficiait toutefois d'une renommée supérieure. Il fut notamment appelé pour prodiguer ses conseils sur le chantier du château du Verger du Maréchal de Gié (autour de 1495-1500) puis sur le chantier de la tour de Beurre de Rouen (Seine-Maritime), « où les chanoines lui soumirent à plusieurs reprises les dessins des maîtres-maçons ». Étienne Hamon suggère sa filiation avec l'ensemble des chantiers du cardinal d'Amboise sans qu'aucune archive mise au jour ne lui permette cependant de l'affirmer. Rappelons à propos les comparaisons formelles que nous avons établies entre la chapelle du nouveau logis de Charles VIII sur les jardins d'Amboise et la chapelle du logis Saint-Ouen à Rouen d'Antoine Bohier, dont le frère Thomas était, par ailleurs, commis à tenir le compte sur le chantier de Gaillon précisément édifié par le cardinal Georges II d'Amboise. L'étude du château d'Amboise vient donc enrichir la connaissance d'un réseau d'architectes et d'amateurs d'art qui demanderait de plus amples investigations pour être parfaitement appréhendé. Étienne Hamon déplore « l'absence des principales oeuvres certaines dans le domaine de l'architecture civile, les logis d'Amboise et le château du Verger ». Mais, demeure à Amboise le bâtiment de la grande salle qualifiée par Jean Guillaume de « première construction de grand luxe de l'architecture française depuis les châteaux princiers du XIVe siècle » . Quant aux tours cavalières, réalisées par Colin Biart notamment, et qui constituent de véritables chefs-d'oeuvre tant du point de vue esthétique que du point de l'innovation et de la maîtrise technique, elles appartiennent autant à l'architecture civile qu'à l'architecture militaire.
Finalement, les filiations avec les tours à canon à rampe hélicoïdale sont incontestables et l'ingéniosité de l'ouvrage pourrait ne pas être étrangère à la présence du canonnier du roi sur le chantier, Jean de Bayne, mais il n'est pas moins vrai que les tours cavalières synthétisent et magnifient la rampe droite d'accès méridionale du château ainsi que le concept de « tour-poterne » de Louis XI, la tour Garçonnet. Un contexte aussi favorable que celui d'Amboise, où le financement royal permettait une grande liberté et où la topographie du lieu exerçait ses contraintes, exigeait de trouver une solution novatrice. Sous François Ier, Monique Chatenet estime que le budget des constructions était tout à la fois immense par rapport à un chantier quelconque, et infime par rapport au revenu royal : « Le coût des constructions enregistrées dans les Comptes des Bâtiments serait de l'ordre de 0,8 à 0,9 % du revenu royal ». De fait, la formation des maîtres-maçons amboisiens restent l'un des points les plus délicats à appréhender. Auprès de quel grand maître ces ouvriers ont-ils fait leur apprentissage ? Le nom du maître-maçon du château d'Amboise sous Louis XI apparaît-il dans les comptes de la ville ? Découvrira-t-on un jour qu'André Lores, figurant dans les comptabilités de la ville dès 1473, ayant sous ses ordres Martin Chambiges, travaillant avec un certain Guillaume Billart en 1479 - parent de Colin Biart ? - et étant le seul dans la ville à porter, à cette date, le titre de maître-maçon, travaillait en tant que tel au château ?
Au fond, le véritable architecte du château était sans doute le roi qui, sans prendre la règle et le compas, avait dicté un programme et diffusé des idées issues de sa conquête italienne comme adaptées à la réalité du lieu où il avait grandi. En outre, comment ne pas reconnaître l'influence des tours cavalières d'Amboise dans la vis monumentale à double volée hélicoïdale et noyau creux de Chambord car, au-delà de la forme, les techniques stéréotomiques sont extrêmement proches. Dans le noyau qui porte les voûtes rampantes, les assises ne sont plus montées en assises réglées, mais avec des pierres de taille de hauteurs différentes dont les décalages sont rattrapés par des décrochements. Les exemples relevant de cette typologie, qui est celle des escaliers à mur-noyau entourant un vide, sont peu nombreux car la mode des escaliers rampe sur rampe succéda rapidement à cette forme. La conception exacte de ces constructions et la méthode employée reste à élucider mais il semble que ce soit là une piste de recherche prometteuse.
Au XIXe siècle, Amboise était présentée comme le foyer des premiers artistes italiens ramenés par Charles VIII mais les travaux initiés par les colloques dirigés par Jean Guillaume, ont nuancé cette thèse. Pourtant le rapprochement entre les tours cavalières et le château Saint-Ange de Rome, tant pour la rampe cavalière intérieure de ce dernier - il est vrai antique - que pour son aspect extérieur, est frappant. C'est d'autant plus valable pour la tour Heurtault qui, dépourvue de couronnement, présente des proportions trapues, proches de celles du fort papal. Par ailleurs, le talus de la tour Heurtault reçoit un traitement identique à celui ornant la base d'une des tours du castel Nuevo de Naples. Et l'on peut y voir, là encore, le détournement de la recherche militaire sur le tracé tenaillé de la tour casematée à éperon à des fins ornementales. Or, Charles VIII vit ces deux édifices.
Amboise : ville médiévale ou renaissante ?
Vue du château depuis le pont sur la Loire au Nord.
Pour cette « ville-pont » devenue « ville-château » que constitue la cité amboisienne, la réponse va de soi ; les formes italianisantes sont quasiment inexistantes et les travaux d'urbanisme, ne répondaient pas à une politique cohérente, si ce n'est la priorité accordée aux travaux d'entretien et d'embellissement des zones mitoyennes du château tels que le Petit Fort, le port, le Carroir au pied du château, les deux grandes rues longeant le promontoire castral (la rue de la Concorde et la Place Michel Debré) et la Masse, mais qui au fond n'étaient dictées que par le désir royal.
Face à cette ville médiévale, qualifier le château - à partir des travaux de Charles VIII - se révèle beaucoup plus équivoque. Avec ses logis d'apparat et de réception de style gothique, mais dont la fonction est totalement inédite, le château d'Amboise occupe une place charnière dans l'architecture française. C'est un château-fort renaissant où résidence et défense cohabitent et s'imbriquent sans jamais prendre le pas l'une sur l'autre. À l'instar du Louvre de Charles V, les campagnes successives de travaux aboutirent à une « forteresse qui se transforme en palais réunissant les recherches d'une habitation royale à la défense extérieure » (Eugène Viollet-Le-Duc) . À Amboise, les tours cavalières symbolisent sans doute, à nouveau, au mieux la mixité des programmes et l'ambition d'un projet princier qui renoue avec ceux de la fin du XIVe siècle où :
« L'imagination créatrice s'exprimait par la virtuosité formelle voulue et commandée par le prince : les châteaux du Louvre, de Saumur, de Mehun-sur-Yèvre sont bien des châteaux de fantaisie : les structures dentelées qui surmontaient, comme des baldaquins monumentaux, les tours de Mehun rappelaient que la fantaisie du duc s'exprimait dans la prolifération des éléments de décor en un sentiment profond du merveilleux » (A. Salamagne).