Le palais de l'évêché achevé, il restait à aménager les jardins, la cour d'honneur et l'accès depuis la cathédrale. Ces travaux commencés dès la construction du palais ne sont pas achevés en 1703 : faute de fonds suffisants, Mgr de Bertier doit hypothéquer des biens et des revenus de la mense épiscopale (17). Les abords n'ont subi que peu de modification depuis le XVIIIe siècle. (...) L'ensemble des constructions, pratiquement terminé à la fin de 1703, s'acheva avec le pavage de la cour et la pose d'une grille, entre cour et jardins.
La création et l'aménagement des jardins
Plan restituant les jardins de l'évêché au 18ème siècle.L'aménagement des jardins en terrasse, tels que nous les voyons encore aujourd'hui, n'intervient qu'après 1703 et se prolonge durant toute la première moitié du XVIIIe siècle ; seul le mur de soutènement de la terrasse haute était, à cette date, en partie édifié. La superficie n'avait d'ailleurs pas été complètement délimitée, et les terrains, proches du chemin du Remenier, ne furent achetés qu'entre 1716 et 1722 par Mgr de Caumartin (19). Après ces dernières acquisitions, le second évêque de Blois se préoccupa de prolonger vers l'est le mur de soutènement de la terrasse haute et de consolider l'assise de la terrasse basse sur le coteau qui dominait le bas-bourg Saint-Jean.
Le prolongement des murs de soutènement des deux terrasses représentait une formidable entreprise à cause de la configuration très accidentée du coteau qui formait à cet endroit un à pic d'une trentaine de mètres. Réalisé à la hâte et sans précaution le mur menaça rapidement de s'effondrer, car en 1753 on y effectua des consolidations urgentes, en ajoutant de petites terrasses intermédiaires.
Vue sur la terrasse basse depuis le "Cavalier" (1988).Au même moment, sans doute, on flanqua la terrasse haute d'une avancée centrale, dénommée "cavalier". Dans le projet initial trois grandes terrasses étaient prévues : la plateforme inférieure longue de 50 toises prolongée par une plateforme intermédiaire, plus élevée, accessible par un emmarchement, et la grande terrasse supérieure qui correspond, à celle d'aujourd'hui. Toutefois, on se contenta, dans un premier temps, d'établir les terrassements sans envisager une composition d'ensemble du jardin.
Dès son installation en 1770, Mgr May de Termont se lance dans cette entreprise : souhaitant imiter les réalisations voisines de Marigny au château de Menars, il engagea Jean-Baptiste Collet, architecte et contrôleur des bâtiments du roi, collaborateur de Soufflot (20). Malgré la modification de la végétation, les jardins actuels correspondent à peu de chose près à leur dessin originel, comme le montre un plan relevé en 1793. La superficie en a été toutefois réduite au nord-est, par suite de la vente d'une partie du potager à la Révolution et du percement du boulevard Eugène Riffault en 1865.
Etablie dans le prolongement de la cour et du palais, la grande terrasse occupait toute la longueur du terrain et formait la partie noble du jardin, directement accessible depuis l'appartement de l'évêque. Elle était plantée au nord d'une double allée de marronniers, formant berceau, avec un rond-point central ; à l'extrémité de cette allée, un emmarchement conduisait à une plateforme plus élevée occupée par des tilleuls et des bosquets longeant le mur de clôture nord. Légèrement en contre-bas se développait dans l'axe du palais un long parterre prolongé par "une rampe gazonnée" en pente douce.
Belvédère de la rampe gazonnée : élévation et plan. Relevé L. Lavie, 1946. encre sur calque.Deux pavillons circulaires en marquaient les angles ; celui du sud, aujourd'hui masqué par le développement excessif de la végétation, était conçu à l'origine comme un belvédère d'où l'on découvrait le vaste panorama ; attribué à tort aux travaux plus tardifs de Mgr de Thémines, il appartient, en fait, aux aménagements de Jean-Baptiste Collet (21). L'édicule de plan ovale est couronné d'une corniche qui repose sur des consoles à glyphes et couvert d'un dôme de charpente. Des peintures, réalisées par un certain Latour, recouvraient les parois intérieures et la fausse voûte, mais nous n'en connaissons pas les thèmes, qualifiés en 1849 de "sujets allégoriques qui ne sont pas sans valeur" (22).
La terrasse inférieure, dite aussi "terrasse de l'orangerie", est limitée à l'est par la plateforme du "cavalier". Cette terrasse, fermée à l'ouest par un mur formant exèdre, comprenait deux parties distinctes par leur végétation et leur agencement.
Face au palais, un jardin d'agrément composé de parterres réguliers avec un motif central (transformé en bassin) était directement accessible depuis l'orangerie et la salle de billard. A l'est, le potager était protégé par le mur de la plateforme (dans lequel on avait ménagé une grande niche, sans doute ornée de concrétions) et par le haut mur de soutènement de la terrasse haute, couvert d'arbres fruitiers disposés en espaliers.
De l'autre côté de la plateforme centrale, en contre-bas de la grande terrasse, un niveau intermédiaire en pente douce formait un boulingrin, dont les rampes curvilignes étaient bordées de petits bosquets ; un escalier en vis tournant autour d'un puits permettait, depuis là, d'accéder aux petites terrasses inférieures, plantées de figuiers. Les jardins étaient complétés par un vaste potager, disposé en carrés réguliers, qui occupait l'extrémité sud-est. Mgr May de Thermont acheva l'aménagement des jardins en y plaçant des éléments décoratifs réalisés par un Italien, dont le nom n'est pas connu ; un paiement de 1774 mentionne la commande de quatre statues et de dix neuf vases, ainsi que des appuis et des pilastres et, surmontant les murs de soutènement, des grilles et des treillages (23). Vases et statues ont disparu à la Révolution et les appuis des terrasses ainsi que les grilles ont été refaits au début du XXe siècle.
Vue de la terrasse qui sert de belvédère pour découvrir les habitations blésoises et la Loire.Dans leur état actuel les jardins offrent une image assez éloignée de la réalisation originelle, en raison de l'installation au début du siècle d'un jardin botanique et de la plantation de conifères sur la "rampe gazonnée". Il reste néanmoins l'étagement des terrasses ouvertes sur un superbe panorama d'où l'on découvre la Loire et le doux vallonnement de la rive sud qui se déploye jusqu'à la lisière de la forêt de Boulogne.
Le palais et les jardins à la veille de la Révolution
Tout au long du XVIIIe siècle les successeurs du premier évêque de Blois contribuèrent à l'embellissement de la résidence épiscopale, en particulier le dernier d'entre-eux qui transforma les dispositions intérieures du palais. Prélat fastueux et cultivé, Mgr Amédée Lauzières de Thémines, appartient à cette génération d'évêques éclairés de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il possédait une collection d’œuvres d'art et une bibliothèque célèbre, qui formera après la Révolution, une partie du fonds ancien de la Bibliothèque municipale de Blois.
Dès la première année de son épiscopat, Thémines envisage un gigantesque projet pour accéder directement aux terrasses du palais depuis le quai et le mail, aménagés en 1730. Il s'agit d'un grand escalier, enjambant le bas-bourg Saint-Jean et escaladant le coteau, qui aurait constitué, depuis la Loire et la nouvelle route du quai, un accès plus monumental à la résidence épiscopale. Projet et élévation des deux terrasses projetées avec la rampe et le passage au dessus des deux rues pour communiquer de la route du Mail jusqu'à l'évêché. Le projet est attesté par un plan et une coupe longitudinale de l'ouvrage qui montrent l'ampleur des travaux à effectuer ; formée de volées séparées par des paliers, l''escalier devait être porté par des maçonneries impressionnantes qui comportaient deux arches au-dessus des rues du Puits-Chatel et Foulerie (24). Un double rang de marronniers devait border cette voie dont le gigantisme n'est pas sans rappeler le projet de Gaston d'Orléans pour relier le château à la ville basse. L'étude préalable dut être longue, car le projet ne fut soumis à l'intendant qu'en 1787 et l'autorisation, délivrée peu avant la Révolution, ne fut pas suivie d'effet. La réalisation de cet ouvrage aurait profondément bouleversé toute la partie sud-est de la ville et le bas-bourg Saint-Jean aurait été coupé de toute communication avec la ville basse. (...)
La construction du palais épiscopal représente la création architecturale blésoise la plus importante du siècle, et le choix de son emplacement brise pour la première fois le carcan de l'enceinte, rupture qui est aujourd'hui moins sensible, mais qui n'a pas échappé aux contemporains. Ils y ont vu un précédent qui leur permettait à leur tour d'annexer ou d'abattre des portions de la muraille. Le paysage et le profil de la ville s'en trouvèrent aussi profondément modifiés, car aux lignes élancées du paysage s'opposaient désormais l'horizontalité du palais et de ses terrasses. Cette composition majestueuse, démesurée par rapport à l'échelle monumentale de la ville, n'est pas fortuite : le nouveau pouvoir religieux exhibe une magnificence princière jusque-là réservée au château.
Notes de bas de page :
17 : CAUCHIE, Amédée. L'évêché de Blois et ses jardins. Mémoires de la société des Sciences et Lettres de Loir-et-Cher. 1930. t. 28, p. 129-167.
19 : A.D. Loir-et-Cher. G17. Acquisition de terrains pour l'extension des jardins, 28 février 1716, 28 février 1722.
20 : CAUCHIE, Amédée. L'évêché de Blois... p. 156.
21 : A.D. Loir-et-Cher. 17 H 42. Lettre de J.-B. Collet à Mgr May de Termont, le 14 juin 1772.
22 : CAUCHIE, Amédée. L'évêché de Blois... p. 158. A.D. Loir-et-Cher. F 1699 (fonds A. Dupré). Note manuscrite.
23 : A.D. Loir-et-Cher. G 2464. Comptes de l'abbé Pointeau, 26 octobre 1774.
24 : A.D. Loir-et-Cher. Cartes et plans : n°510, projet pour rampe pour relier les jardins au Bas-Bourg Saint-Jean, 8 août 1787. BM Blois. gravures n°294, coupe et élévation de la rampe de l'évêché, s.d.